« Il faudra que des milliers de maraîchers locaux se créent, à la périphérie des villes »

Les Jardins de Cocagne, exploitations de maraîchage bio dédiées à la réinsertion, ont continué à fonctionner durant la pandémie. La crise conforte leur modèle qui conjugue respect de la nature, ancrage territorial et solidarité, valorisation des métiers de la terre. Interview de Julien Adda, directeur du réseau Cocagne.

(c)Cocagne
(c)Cocagne

Quelle est l’activité de la centaine de  jardins de Cocagne ? 

Les jardins de Cocagne, dont le premier est né en 1991, sont des exploitations agricoles de maraîchage bio, support pour l’insertion professionnelle de personnes très éloignées de l’emploi. Dès l’origine, les jardins portent une double intuition : celle que le marché ne peut pas tout, qu’il faut inventer des métiers valorisants, et aussi, qu’il est impossible d’aider des personnes sans traiter la terre de manière correcte. Aujourd’hui, 5 000 salariés en insertion environ travaillent dans une centaine de jardins. Dans notre société très concurrentielle, on les valorise et on leur redonne confiance en eux-mêmes. Accompagnés par quelque 700 permanents, ces salariés produisent un million de paniers, par an. Ceux-ci sont distribués à 25 000 familles qui souscrivent un abonnement, lequel permet d’assurer la régularité de la production. En plus de cette activité principale, nous avons aussi développé une logique de  coopération de territoire : par exemple, nous proposons des services logistiques, comme la collecte et la distribution, à des producteurs locaux et bio. 

Durant la pandémie, que s’est-il passé dans les jardins ? 

Les jardins sont restés ouverts  : il s’agit d’une activité de première nécessité. En mars, il y a eu un moment de flottement. Notre premier réflexe a été de renvoyer les salariés en insertion chez eux. Puis, nous nous sommes rendus compte qu’ils pouvaient et qu’ils avaient le désir de revenir. Leur activité était considérée comme essentielle : cela leur a donné un grand sentiment d’utilité, et a montré la force du travail de la terre. En plus, c’est la période où on programme la culture de l’été : on jouait la saison ! Nous avons du nous adapter à la situation, notamment pour permettre la mobilité de ces salariés, et mettre en place les gestes barrières. De l’autre coté, nous avons été submergés de demandes de paniers. Il y a eu  un afflux massif de demandes de nouveaux adhérents. Et aussi, nous avons été sollicités par des propositions d’engagement de nouveaux bénévoles. Nous avons aussi pensé au public précaire. En temps normal, déjà, nous  distribuons  100 000 «paniers solidaires» aux personnes en difficulté. L’appui de la Fondation de France nous a permis de sanctuariser cette aide. 

L’avenir de l’agriculture passe-t-il par les circuits courts  ? 

Aujourd’hui, nous envisageons la création de structures nouvelles. Depuis deux ans environ,  nous avons des demandes croissantes des collectivités, notamment dans le cadre de leurs projets alimentaires territoriaux. Et nous voulons également développer des activités qui sont  déjà expérimentées par certains jardins. Par exemple, les «unités mobiles»: les salariés en insertion, accompagnés par des encadrants, se déplacent pour travailler sur des exploitations agricoles. La crise de la Covid-19 a été terrible, mais elle a confirmé la pertinence du projet que nous portons depuis trente ans. Elle a révélé des attentes fortes, et les besoins en  circuits courts et solidaires ont pris une ampleur nouvelle. Nous ne pourrons répondre seuls à cette demande. Il faudra que des milliers de maraîchers locaux se créent, à la périphérie des villes. Par ailleurs, nous restons conscients de l’écart qui demeure entre la consommation alternative et celle de masse. Il faudrait aussi faire évoluer ces acteurs : nous pourrions être une passerelle, pour les accompagner.