Le recyclage, grand alibi d'une économie qui ne veut pas changer ?

Difficile d'échapper à la célébration de l'économie circulaire. Problème, sa pierre angulaire, le recyclage, finit  par être nuisible à l'environnement, car il encourage l'exploitation des matières premières, argumente l'ouvrage d'une militante du courant Zéro Déchet.

(c)Adobestock
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À contre-courant de la vague de louanges qui entoure l’économie circulaire,  l’argumentation est  troublante et le titre, cash. Recyclage, le grand enfumage. Comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable (Éditions Rue de l’échiquier- 2020), a été rédigé par Flore Berlingen, directrice de l’association Zéro Waste France, qui œuvre en faveur d’une société zéro déchet, zéro gaspillage. Son propos : la conversion de notre économie linéaire, fondée sur le jetable, en un modèle circulaire, plus vertueux écologiquement et qui passe par le recyclage, est un « scénario optimiste (…), malheureusement irréaliste et potentiellement néfaste »

Dans le discours actuel, porté par l’industrie du traitement des déchets, les collectivités locales, et même certains militants écologistes, Flore Berlingen dénonce  un « écran de fumée », à trois niveaux. Deux idées sont fausses, d’après elle : l’idée même selon laquelle la recyclabilité permet de rompre avec l’économie linéaire, sur-consommatrice de ressources naturelles, et celle du recyclage à l’infini. Sur cette base, dénonce-t-elle, les discours se multiplient, qui valorisent les gestes de tri que doivent accomplir les consommateurs. De belles paroles qui ne font que masquer les insuffisances  – voire, les tromperies – des acteurs économiques concernés. Exemple : un produit peut être présenté comme recyclable, parce qu’il l’est techniquement. Mais la filière de recyclage n’existe pas ! C’est le cas des couvercles des gobelets en polypropylène souple de Starbucks, destinés à remplacer les pailles. Le matériau n’a pas de solution de recyclage en France. Autre souci, pour chaque secteur (emballage, meubles…), les éco-organismes sont supposés responsabiliser leurs adhérents ( les entreprises) à la recyclabilité de leurs produits, via une modulation de leurs contributions. La plupart ne le font qu’avec la plus grande modération. 

Quant au bilan du tri et de la collecte, il est « en demi-teinte ». Pour l’emballage, par exemple, la collecte ralentit depuis le milieu des années 2000 et peine à dépasser les 65%. Au niveau budgétaire, « le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble », pointe  Flore Berlingen. Sur les 20 milliards d’euros annuels que coûte la gestion  des déchets, 1,2 seulement est assumé par les entreprises. Et, problème supplémentaire, les industries européennes sont fortement dépendantes du recyclage du reste du monde. Avec des résultats invisibles chez nous, mais désastreux en matière écologique, en  Malaisie ou Indonésie, où les déchets s’entassent dans des décharges sauvages…

Écran 100% de fumée 

« Un recyclage possible à l’infini, qui rendrait soutenable et généralisable notre modèle de production et de consommation » :  telle est l’une des deux illusions majeures des discours actuels  qu’entend dissiper Flore Berlingen. Pour elle, l’affirmation, séduisante, fait l’impasse sur plusieurs difficultés de nature diverse. Tout d’abord, le recyclage demeure un processus imparfait et non-exempt d’impacts. À la base, toutes les matières ne sont pas récupérables. Dans l’automobile, par exemple, les alliages de métaux sont tellement variés qu’il s’avère  impossible de développer une filière de recyclage pour chacun d’entre eux. Par ailleurs, « plutôt que de recyclage, il faudrait parler de décyclage(…), car après cette étape,ces matières peuvent rarement retrouver leur usage d’origine ». La cellulose de papier par exemple, perd de sa résistance aux déchirures. 

Autre difficulté, la faisabilité de la généralisation d’une démarche de recyclage à l’infini, dans une filière. Concernant les eaux minérales, par exemple, plusieurs marques évoquent le « bottle to bottle » :  les bouteilles composées à 100% de PET recyclé serviraient à en fabriquer d’autres. Mais, pointe Flore Berlingen, ce cercle apparemment vertueux se heurte à une contradiction de fond  : le matériau perdant de ses qualités lors du recyclage, il faut plusieurs bouteilles pour en fabriquer une seule. Or,  la démarche des producteurs consiste à étendre leurs parts de marché…

Autre type de problème encore, « les consommations et émissions inhérentes aux procédés de recyclage », ajoute-t-elle. Par exemple, le  recyclage d’une tonne de ferraille évite 58% des émissions de gaz à effet de serre résultant de la production de l’équivalent en acier primaire, mais il entraîne l’émission nette de près d’une tonne en équivalent CO2. Le recyclage implique aussi  l’utilisation de grandes quantités d’eau, en particulier lorsque le matériel est destiné au contact alimentaire. Dernier point, enfin,  le mythe du 100% recyclable engendre une autre croyance fausse, « celle que notre besoin en ressources vierges diminue à mesure que le recyclage progresse », dénonce Flore  Berlingen. Entre 2005 et 2015, la production annuelle mondiale de plastique a augmenté de 45%… 

Tout changer pour que rien ne change ?

Bref, loin de constituer  la voie royale vers une économie sobre, comme le proclament ses partisans, « le recyclage s’inscrit et renforce notre système économique, qui est celui de la sur-consommation des ressources en matières premières », argumente  Flore Berlingen. Ainsi, les processus et l’organisation du recyclage épousent les formes et le fonctionnement de l’économie dans lesquels ils sont nés. Par exemple, décrit l’ouvrage, les usines s’agrandissent pour parvenir à des économies d’échelle, ce qui peut rentrer en contradiction avec des enjeux environnementaux, puisque les déchets doivent voyager. Et logiquement, pour que l’économie du recyclage demeure rentable, il lui faut recevoir des volumes de déchets « importants et constants, voire croissants », pointe l’auteure. Une dynamique à laquelle répond celle des consommateurs, chez qui « la possibilité de recycler (…) inciterait plutôt à surconsommer » ont montré des chercheurs de l’Université de Boston. 

Au total, loin d’inciter l’industrie à utiliser moins de matières premières, « l’économie circulaire se nourrit du problème qu’elle cherche à corriger, et elle l’accentue encore (…), toutes les mesures de ces dernières années concourent à l’optimisation de l’exploitation des ressources par le recyclage des matières premières, et non à la réduction à la source de leur consommation par la réparation, le réemploi et la réutilisation », regrette Flore Berlingen.  Pour elle, il faut « sortir de l’ère du jetable » et de « l’illusion dangereuse » du recyclable. Celle-ci masque une question politique essentielle : « Celle du partage des ressources, non seulement entre notre génération et les futures, comme on l’entend souvent, mais également au sein de l’humanité actuelle »