Avocats : la profession s'inquiète

Impact de la pandémie sur la justice, sur la profession d’avocat et l’accès au droit, appel à ne pas paralyser à nouveau les juridictions… Par la voix de la présidente du Conseil national des barreaux, Christiane Féral-Schuhl, la profession d’avocat a adressé de nombreux messages à la Chancellerie à l’heure d’un nouveau confinement.  

(c)Adobestock
(c)Adobestock

C’est un discours qui a été prononcé « dans de bien étranges circonstances », a relevé la présidente du Conseil national des barreaux (CNB), Christiane Féral-Schuhl, le 29 octobre dernier dans le cadre du Grand atelier des avocats, un événement organisé en distanciel en lieu et place de la traditionnelle Convention nationale des avocats, en raison de la situation sanitaire. La veille, le Gouvernement a annoncé un nouveau confinement. Et le matin-même, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a annulé sa venue à ce grand rassemblement de la profession pour se rendre à Nice où un attentat venait de se produire.

« Un premier confinement désastreux »

Cette pandémie « a fait vaciller notre pays », « a fait vaciller la justice », « a fait vaciller toute notre professio», a déclaré Christiane Féral-Schuhl. Le premier confinement a été « désastreux pour la justice » : « une justice à 164 vitesses puisque chaque juridiction décidait de son propre plan de continuation d’activité, une justice qui a bégayé, une justice qui a trébuché sur ses valeurs, et notamment, pour ne citer qu’elle, sur la détention provisoire ». Alors, « je le dis très clairement, nous ne voulons pas vivre de nouveau le pire », « nous ne voulons plus de bricolage », « nous ne voulons plus d’improvisation, celle qui a arrêté la justice, qui a arrêté nos cabinets ». De fait, l’activité de la moitié des avocats en exercice individuel « a été totalement à l’arrêt en mars et avril » et « un quart des avocats ne se sont pas versés de rémunération pendant ces deux mois »

Préserver l’accès au droit, « quoi qu’il en coûte »

Autre conséquence de la situation sanitaire qui, pour l’heure, n’a pas été anticipée par le gouvernement et risque de peser lourd sur les épaules des avocats. : « un million de nouveaux pauvres vont rejoindre les 9,3 millions de Français qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, et ces citoyens doivent pouvoir accéder au droit ». C’est pourquoi « il faut sauver l’accès au droit, quoi qu’il en coûte », a-t-elle ajouté en plaidant pour une hausse du budget de l’aide juridictionnelle et une revalorisation de l’indemnisation des avocats qui prennent en charge ces missions. « Je le dis clairement : il ne faut pas venir demander aux avocats de nouveaux efforts ou je ne sais quel donnant-donnant » car « des compensations, les avocats en donnent depuis des années en travaillant à perte et en subissant des délais de paiement qu’aucun salarié, aucun fonctionnaire, aucun entrepreneur n’accepterait ». Alors « que l’on ne vienne pas nous dire qu’il faut prendre notre part au financement de ce service public que nous portons à bout de bras depuis des années » : « des avocats qui financent ce service public en lieu et place de l’État, il faut que cela s’arrête. » 

Réformes : « nous attendons un changement de méthode »

Autre domaine dans lequel la présidente du CNB a appelé au changement : « les avocats en ont assez de financer les réformes que décident unilatéralement les gouvernements successifs », et « nous attendons, avec l’arrivée du nouveau garde des Sceaux, un changement de méthode ». Et de rappeler que le ministre a sur son bureau « près de 300 propositions qui ont été formulées et votées par les élus du Conseil national des barreaux » : « nous aimerions que la Chancellerie se saisisse de ces propositions qui ont l’adhésion de la profession » et qui « valent mieux que toutes les commissions, surtout quand le temps presse ». Car « notre justice n’a plus le temps ni les moyens d’attendre des rapports de commissions successives, qui ne font qu’entériner des propositions qui sont sur la table depuis plusieurs mois, voire plusieurs années ».

Éviter une nouvelle paralysie de l’institution judiciaire 

À la veille de cette nouvelle période de confinement, les demandes de la profession sont claires : « les juridictions doivent pouvoir poursuivre leur activité », « les cabinets d’avocats doivent pouvoir continuer à travailler et à recevoir leurs clients » et « les avocats doivent pouvoir circuler pour assurer leur mission ». Quant aux travailleurs indépendants, ils « doivent avoir droit aux indemnités journalières liées à la Covid-19 et à la garde d’enfant », comme cela a été le cas lors du premier confinement grâce à la forte mobilisation des institutions représentatives des professions libérales. « Les avocats, les magistrats, les greffiers ne veulent pas revivre ce qu’ils ont vécu au mois de mars et avril derniers » et « notre profession ne survivra pas à un deuxième arrêt, même partiel, des juridictions, au civil comme au pénal ». Et de conclure : « nous sommes des métiers essentiels à la continuité de la nation et à la vie démocratique, et il appartient à notre garde des Sceaux de le faire reconnaître »

Vers un maintien l’activité des tribunaux

Le soir même, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a adressé un message vidéo aux 84 000 agents de son ministère pour leur dire que tout allait être mis en œuvre pour assurer la poursuite de l’activité des tribunaux, et que les plans de continuité de l’activité déployés au cours du premier confinement, pour limiter le traitement des affaires aux seules audiences et procédures d’urgence ne seraient donc pas activés. Différents aménagements sont prévus pour adapter le fonctionnement des juridictions au strict respect des mesures sanitaires pour ceux dont la présence, ponctuelle ou régulière, est indispensable, et des ordinateurs portables vont être remis à tous les personnels pour faciliter le travail à distance, quand cela est possible.