Confinement : « Comme un accident grave, mais au ralenti »

Fondateur et responsable d’une minoterie, d’un fournil et d’une boulangerie, Nathaniel Doboin déplore, depuis le début du confinement, une perte d’activité de 60%. Il raconte son parcours d’entrepreneur dans l’univers administratif et bancaire, dans cette période compliquée.

Nathaniel Doboin.
Nathaniel Doboin.

Nathaniel Doboin, vous n’êtes pas boulanger de formation, mais vous animez une boulangerie. Présentez-nous votre activité.

En 2014, mon associé Thomas Teffri-Chambelland et moi avons fondé, dans les Alpes-de-Haute-Provence, une minoterie où nous produisons des farines de riz, sarrasin, sorgho et millet. À Paris, nous avons créé un fournil et une boulangerie où nos boulangers et pâtissiers préparent et vendent des produits issus de ce moulin. Depuis 2018, le pain est fabriqué dans un fournil, en journée, ce qui assure de meilleures conditions de travail aux salariés. Les produits sont conseillés par les associations de consommateurs qui préconisent la nourriture sans gluten. L’entreprise compte 20 salariés.

Comment avez-vous vécu le passage au confinement, à la mi-mars ?

C’était comme un accident grave, mais au ralenti. Chaque jour, nous voyions le mur se rapprocher. Il y avait plusieurs fronts à gérer en même temps, avec les salariés, les fournisseurs, les banques, les administrations. Je ne devais surtout pas montrer mon angoisse aux salariés, que j’ai appelés un par un, pour prendre de leurs nouvelles. Je leur demandais où ils comptaient passer le confinement, comment ils garderaient leurs enfants, s’ils pouvaient travailler, etc. 

Le jour du confinement, le mardi 17 mars, nous avions encore des clients avant midi. Mais ensuite, c’était terminé. Nous avons alors compris qu’il faudrait réorganiser la production et les plannings. Depuis, l’activité connaît une chute de 60%, par rapport à la moyenne.

Les boulangeries sont pourtant considérées comme des commerces essentiels ?

Les gens achètent moins de pain, et davantage de farine. À Paris, notre clientèle fidèle n’habite pas forcément le quartier, et il ne faut pas oublier que 25% des habitants ont quitté la ville. Mais je sais qu’à Aix-en-Provence ou à Lyon, mes confrères travaillent correctement.

Il fallu modifier le fonctionnement de la boulangerie…

La boutique est désormais ouverte 7 jours sur 7 et toute la journée, afin que les clients ne craignent pas de trouver porte close. Des menuisiers avec qui je travaille régulièrement sont venus installer, en 24 heures, à peine des plaques de plexiglas sur le comptoir pour protéger les vendeurs. J’observe qu’il est important de conserver de bons liens avec ses fournisseurs, avec les artisans, de les payer en temps et en heure. Enfin, la boutique est équipée depuis plusieurs années d’une caisse automatique dans laquelle les clients introduisent les pièces et billets, afin d’éviter les erreurs de caisse et de prévenir les braquages, qui touchent les petits commerces. Au début, certains clients nous avaient reproché cette «déshumanisation». Aujourd’hui, cela prend tout son sens !

Comment avez-vous réorganisé le travail des salariés ?

La plupart des salariés souhaitaient continuer à travailler, ne serait-ce que pour conserver un lien avec l’entreprise et se sentir utiles. Mais comme il n’y a pas assez de travail, chacun occupe son poste au moins un jour par semaine. Pour compenser cette baisse d’activité, en mars, nous avons demandé aux salariés de prendre des jours de congés payés et, en avril, nous avons eu recours au chômage partiel. Concrètement, l’entreprise verse les salaires normalement et la direction régionale des entreprises devra ensuite nous indemniser en fonction du nombre d’heures effectivement travaillées. Enfin, pour la fabrication, nous privilégions les produits qui se conservent bien ou font plaisir aux gens, comme les moelleux au chocolat…

Comment faites-vous face à la perte d’activité ?

Nous avons eu recours, auprès de notre banque habituelle, au prêt garanti par l’État, annoncé le 16 mars par Emmanuel Macron. Le prêt est couvert à 90% par la banque publique Bpifrance, le coût du crédit est proche de zéro et remboursable en un an. Nous avons opté pour un prêt correspondant à 25% du chiffre d’affaires de l’année dernière.

Les propriétaires des deux locaux dont l’entreprise est locataire, un bailleur privé et un bailleur public, ont tout de suite accepté de décaler les échéances jusqu’au 31 décembre, au prorata de notre activité.

Les démarches administratives ne sont pas trop complexes ?

Je redoutais un flux administratif, mais je suis surpris : les services publics gèrent très bien les dossiers, envoient des réponses rassurantes dans les 48 heures. De même, les agents de nos deux banques se montrent compréhensifs. Ils ont manifestement été sensibilisés par leur direction. Il n’a jamais été aussi facile de demander un prêt à une banque !

Quand la boulangerie retrouvera-t-elle une activité normale ?

Je ne sais pas trop ce qu’est une “activité normale”. Depuis 2015, les attentats, les manifestations des “gilets jaunes” et les grèves dans les transports ont directement touché les habitants et les commerçants. On ne pourra jamais effacer cette mauvaise passe. Elle pèsera sur les esprits et la trésorerie pour quelques années.