Les passoires énergétiques, déclencheur de la prochaine crise sociale ?

La distribution des DPE négatifs n’est pas homogène sur le territoire français.
La distribution des DPE négatifs n’est pas homogène sur le territoire français.

Les contraintes
fixées par les impératifs environnementaux en matière de logement pourraient
accentuer les déséquilibres du marché immobilier et mettre en difficulté des
propriétaires modestes. Explication.

C’est une véritable alerte. Il y a quelques mois, c’est le
sujet de l’automobile, de la mobilité, qui a servi de déclencheur à la crise
sociale. Mais l’immobilier pourrait constituer un sujet potentiellement aussi
brûlant. C’est ce que révèlent les analyses de la direction études et
prospectives du groupe bancaire BPCE, dans le cadre de l’étude consacrée à
“L’immobilier résidentiel”, portant notamment sur “Problématique
énergie-climat et tensions territoriales : quels enjeux pour le logement
?”. Elles étaient présentées à la presse, le 17 octobre, à Paris.  Premier constat, les objectifs
environnementaux nationaux, en matière de logement, sont loin d’être tenus :
entre 2015 et 2017, la consommation d’énergie finale du secteur résidentiel a
crû de 0,1% par an alors que l’objectif était une baisse de 2,1%, en moyenne. «
Nous sommes en train de nous décaler
sensiblement du scénario SNBC, alors que les conditions climatiques ont été
plutôt favorables
», pointe Alain Tourdjman, directeur études et
prospectives du groupe BPCE. Le scénario, c’est celui de la Stratégie nationale
bas carbone, outil de la transition qui vise la neutralité carbone en 2050. Il
a fixé des objectifs de réduction des consommations d’énergie dans tous les
secteurs, y compris le bâtiment, ce qui impose de renforcer son efficacité
énergétique. 

Mauvaises
performances énergétiques

Et l’enjeu de l’amélioration de la qualité du parc
immobilier existant apparaît comme une priorité : avec 27% des émissions en
2015, le secteur du bâtiment résidentiel et tertiaire est le deuxième émetteur
de gaz à effet de serre en France. C’est le résultat d’un parc immobilier où
près de 54% des résidences principales sont classées E à G, les plus mauvais
scores dans un Diagnostic de performance énergétique (DPE). Et la situation ne
s’améliore guère : sur 5,1 millions de logements rénovés entre 2014 et 2016, le
quart seulement de ces chantiers a permis de gagner au moins une classe
énergétique. « Aujourd’hui, dans les
modalités de mise en œuvre de la transition énergétique, nous sommes très loin
d’atteindre les objectifs
», commente Alain Tourdjman. Pis, depuis deux
ans, le montant des dépenses d’efficacité énergétique engagées par les Français
a même baissé (de 35%). « Pour que le marché fonctionne, il faudra apporter des
garanties, pour qu’un ménage qui réalise des investissements importants aient
des garanties d’efficacité », analyse Alain Tourdjman. Par ailleurs, au-delà de
la question de son efficacité, « la
politique “Climat” est absolument nécessaire. Mais en même temps,
elle pose des problèmes, car la distribution des DPE négatifs n’est pas du tout
homogène sur le territoire
», explique Alain Tourdjman.

Les contraintes se
multiplient

En fait, de multiples contraintes de nature diverses – mais
toutes liées à l’environnement -, convergent. Adoptée en septembre dernier, la
loi Climat énergie comprend un volet de lutte contre les “passoires
énergétiques”. Elle prévoit des obligations qui vont s’imposer
progressivement aux propriétaires bailleurs. Par exemple, dès 2021, des
contraintes financières s’imposeront pour inciter à la rénovation de logements
loués classés F. À terme, en 2028, l’incitation à réaliser des projets sous
contraintes financières s’imposera pour les logements loués et vendus de
catégorie E. Les modalités de la sanction restent à définir. Et cette nouvelle
loi s’applique à un marché immobilier où les critères énergétiques pèsent déjà
lourd. Depuis 2011, l’affichage du DPE est obligatoire dans les annonces
immobilières à la vente et la location. Et ce critère impacte fortement le prix
des biens. Les maisons anciennes d’étiquette énergie A-B se sont vendues, en
moyenne, de 6% à 14% plus cher que les maisons d’étiquette D, d’après une étude
des notaires de 2018. Pour les appartements anciens, la fourchette peut grimper
jusqu’à 22%. D’après les analystes du groupe BPCE, cette tendance générale qui
se renforce, en se conjuguant avec d’autres dynamiques du marché, risque
d’induire plusieurs effets pervers, et ce, à plusieurs niveaux.

Les petits
propriétaires pénalisés

Au niveau individuel, se pose potentiellement un souci pour
le patrimoine immobilier, avec des biens qui risquent d’être dévalorisés. « Pour la majorité des détenteurs immobiliers,
il s’agit la totalité de leur patrimoine, avec lequel ils ont préparé leur
retraite, et qui représente le symbole économique de leur vie professionnelle.
Si au bout de tant d’années d’efforts, on développe un système qui se révèle
avoir un effet de dévalorisation profonde de leur bien, il y a un risque sur
l’acceptabilité sociale de cette mesure
», analyse Alain Tourdjman. Et ce,
d’autant que les propriétaires ne sont pas incités à investir, s’ils n’ont pas
l’impression qu’ils vont récupérer cet investissement au moment de la vente,
car les travaux n’auront pas permis de changer de catégorie dans le DPE. Enjeu
complémentaire, celui des propriétaires bailleurs, dont les biens se situent
dans les zones où le marché de l’immobilier est plat. Là aussi, la situation « risque de devenir intenable », commente
le directeur des études. L’interdiction de revaloriser le loyer d’un habitat
sans le rénover énergétiquement, prévue par la loi, risque de provoquer une
dévalorisation accrue du bien, ainsi qu’un taux de vacance en hausse dans la
zone. Car l’enjeu est également territorial : les mesures concernant les
dépenses énergétiques menacent d’accélérer le creusement de l’écart entre la
dynamique des métropoles et des zones attractives et celle des zones dites de
la France périphérique, qui, pour l’essentiel, couvre la trop célèbre diagonale
du vide. En matière de marché immobilier, déjà, ces deux zones affichent des
dynamiques qui divergent toujours plus, qu’il s’agisse d’évolution des prix,
mais aussi de taux de vacance des logements. À une nuance près : toutes les
régions ne sont naturellement pas égales devant le DPE, le climat méditerranéen
jouant favorablement.