« Nous sommes le premier producteur mondial d'endives »

Fragilisée par la flambée des coûts énergétiques, la pénurie de main d'oeuvre et les conditions climatiques en 2023, la filière endivière attaque 2024 avec son lot d'incertitudes. Pierre Varlet, directeur de l'APEF (Association des producteurs d'endives de France), nous livre son regard sur la conjoncture actuelle.

Sur les 300 endiviers français, 280 sont implantés en Hauts-de-France. © Eric Lalmand-Belga via AFP
Sur les 300 endiviers français, 280 sont implantés en Hauts-de-France. © Eric Lalmand-Belga via AFP

La France est le premier producteur mondial d'endives avec une production assurée à 90% en Hauts-de-France (10% en Bretagne et Normandie). Que faut-il savoir sur cette filière peu connue hors de nos frontières régionales ?

Nous sommes effectivement le premier pays producteur d'endives ! Sur les 300 endiviers français, 280 sont implantés en Hauts-de-France. Au total, cette filière représente 4 000 emplois, nous restons un petit acteur. Ces dernières années, la production tournait autour de 130 000 tonnes par an. En 2023, on note une baisse de volumes avec 110 000 tonnes produites.

Comment expliquez-vous cette baisse ? Et dans quel état d'esprit les endiviers entament cette nouvelle année ?

Les troupes sont pleine d'incertitudes quant à l'avenir de la filière. Nous sommes confrontés à trois défis majeurs : l'enjeu agro-écologique, l'enjeu énergétique et l'enjeu autour de la main d'oeuvre. Il y a encore 5 ans, on évaluait à 350, le nombre de producteurs contre 300 aujourd'hui. La perte de producteurs est inquiétante puisque les départs en retraite ne sont pas remplacés. Le recrutement est toujours aussi difficile actuellement.

La filière a beaucoup souffert en 2023, quelles en sont les causes ?

En effet ! 2023 aura été une année très spéciale entre les fortes pluies au printemps et la vague de sécheresse durant l'été : une météo peu favorable à l'endive qui a entraîné notamment des levées irrégulières. Les volumes ont donc été moins importants que les années précédentes.

La guerre en Ukraine et la crise énergétique ont eu un impact considérable sur la filière. Quelles ont été les répercussions immédiates chez les endiviers ?

Les endiveries sont soumises à des contrats avec des fournisseurs d'énergie. Avec la guerre en Ukraine, nous sommes passés de 70€ le megawatt à 450€. Un tiers des endiviers a signé des contrats à ces prix exorbitants alors qu'aujourd'hui, le coût du marché est redescendu à 100€ le megawatt. Mais malheureusement, ce sont des contrats d'une durée de 2 à 3 ans et pour le tiers d'endiviers ayant signé à des prix prohibitifs, il est compliqué de rompre ces contrats puisque les indemnités de rupture sont beaucoup trop chères.

«Il n'y a pas de souveraineté alimentaire sans maîtrise des coûts de production», souligne Pierre Varlet, directeur de l'APEF.

Quel est le rôle de l'APEF justement pour tenter de soulager les producteurs ?

L'APEF est en relation directe avec les médiateurs de l'énergie, le ministère de l'Agriculture ainsi que le ministère de l'Economie. On espère parvenir à un compromis afin de baisser les coûts de production. Aujourd'hui, tout augmente donc les prix de vente ne peuvent rester stables. Il n'y a pas de souveraineté alimentaire sans maîtrise des coûts de production.

La demande a-t-elle chuté face à la hausse des prix de vente justement ?

La demande n'a pas forcément baissé, le marché n'est pas saturé. On a même parfois du mal à répondre à la demande. L'hiver a été favorable à la consommation pour l'instant. On verra ce que la météo nous réserve en 2024. Dès le mois de mai, on va resemer les endives et préparer progressivement la saison 2024-2025.

Face au projet de loi industrie verte, qui exige un verdissement des filières agricoles, quel est l'état d'esprit des endiviers ?

Nous sommes le premier producteur mondial d'endives mais nous restons tout petit avec 8 000 hectares de production par an. C'est très compliqué pour notre filière de se doter d'outils innovants car on n'intéresse par forcément les partenaires technologiques. Les producteurs ne sont pas contre l'évolution des pratiques, il faut nous trouver des solutions. Nous ne sommes pas des magiciens, on accepte de tester tous les dispositifs innovants mais on ne peut pas les inventer.

Les techniques de désherbage laser ou désherbage localisé avec caméras permettant d'identifier les mauvaises herbes pourraient être en effet une petite révolution pour la filière. Cela dit, ces outils ne sont pas encore démocratisés et ont donc un certain coût. Il faudrait également une politique tarifaire car, pour se doter de ces outils, il faut vraiment avoir les moyens...

Que représente l'export pour la filière endivière régionale ?

L'export représente à peine 10% de la production. On vend en Italie, en Allemagne, en Espagne et au Benelux mais les ventes à l'étranger ont baissé en 2023. La raison ? On arrivait à peine à couvrir la demande nationale...

Quel est le rôle de l'APEF ?

Basée à Arras, l'APEF existe depuis 2008. Elle compte 25 collaborateurs et est financée à 90% par les producteurs et 10% à l'aide de subventions. Elle a pour objectif de valoriser durablement la production d’endives et de développer des outils techniques et d'aide à la décision afin de pérenniser sa culture sur le territoire. L'APEF travaille également sur les actions de communication, de formation et de représentation de la filière. « Nous communiquons sur l'automatisation, la robotisation de la filière, et nous tentons de combattre l'image vieillissante de l'endive. Il faut que les endiviers se montrent plus attractifs et communiquent davantage sur les réseaux sociaux également. Pour ce qui est de la pénurie de main d’œuvre, malheureusement, nous regardons avec anxiété l'arrivée des gigafactories sur le territoire régional », conclut Pierre Varlet.