RSE : la filière cuir contre-attaque

Mode végan, vidéos virales dénonçant la maltraitance animale, pression sur les entreprises qui polluent... La filière cuir prend le contre-pied en affichant sa démarche RSE.

(c)Adobestock
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La meilleure défense, c'est l'attaque. Lors d'une conférence de presse à Paris et en ligne, Frank Boehly,, président du Conseil National du Cuir, présentait le « livre blanc RSE », responsabilité sociétale des entreprises, de la filière du cuir. Celle-ci est constituée de 12 800 entreprises, dont 80% de PME et TPE qui regroupent 133 000 salariés exerçant une centaine de métiers. Sur le plan économique, la filière réalise 25 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an, dont plus de 13 milliards à l'export.Objectif du livre blanc ? « Inciter les entreprises et les accompagner dans la démarche» RSE, mais aussi, « faire face à des idées reçues dans le public », explique Frank Boehly.

De fait, à travers certaines thématiques abordées, se lisent en creux les évolutions sociétales qui bousculent aujourd'hui ce secteur au savoir-faire ancestral : une sensibilité accrue au bien-être animal, l'intolérance face aux industries qui polluent ainsi que l'engouement pour la mode végan. En réponse, une partie du livre blanc est consacrée à l'objectif du dialogue avec les consommateurs. « Avoir une démarche responsable, c'est accepter d'être transparent et d'écouter le consommateur qui, de plus en plus, cherche de l'information. Mais on constate sur les réseaux sociaux (...) que l'abondance d'informations tue un peu l'info. N'émerge que ce qui fait le ‘buzz’, parfois au détriment de l'info concrète », estime Frank Boehly.

D'où l'importance de la « pédagogie », en particulier sur un sujet précis : celui des limites de l'appellation cuir, fixées aux matières d'origine animale par le décret de janvier 2010. « Aujourd'hui, on voit fleurir des appellations pour des matières d'origine végétale (…). Ce que nous revendiquons, c'est une communication claire sur ces matières et leur composition », pointe Frank Boehly. Des études menées par COTANCE, Confédération des associations nationales de tanneurs et mégissiers de la Communauté Européenne et par le CTC, Centre de recherche dans les métiers du cuir, aboutissent à une série de conclusions : les qualités physico-mécaniques de ces matières ne les rendraient pas assez résistantes pour réaliser des chaussures. De plus, elles contiendraient des substances d'origine synthétique, et pas seulement naturelles...

Champion de l'économie circulaire

Dans son livre blanc, la filière du cuir prend le contre-pied en se présentant comme un « modèle d'économie circulaire », promue par la loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire) de 2020. « Le cuir est un sous-produit ou un co-produit de l'industrie agroalimentaire. On élève des animaux pour le lait et la viande, et la filière cuir récupère le ‘5ème’ quartier, tout ce qui n'est pas de la viande : sabots, cornes, boyaux, os, peau, qui pourraient devenir des déchets s'ils n'étaient pas valorisés et réutilisés », argumente Franck Boehly. Plusieurs initiatives sont là pour convaincre les consommateurs du caractère vertueux de la démarche de la filière. C'est le cas d'Innoshoe, une charte qui garantit l'innocuité des produits et leur faible impact environnemental. Autre initiative, le CTC a mis en place un dispositif de traçabilité des peaux, marquées au laser au sortir de l’abattoir, et suivies jusqu'à la matière finie. A terme, la traçabilité devra se prolonger jusqu'au produit fini. Le dispositif existant est déjà opérationnel pour les peaux de veaux.

Autre sujet brûlant abordé par le livre blanc, celui de la maltraitance animale, sur lequel la sensibilité de la société se fait toujours plus vive. « Des vidéos circulent pour montrer des conditions de stress des animaux que nous condamnons », précise Frank Boehly. Mais il rappelle que la filière est soumise aux « réglementations françaises et européennes, les plus avancées du monde », ainsi qu'à de nombreux contrôles vétérinaires. Par ailleurs, le secteur s'engage aussi, notamment via des actions de sensibilisation auprès des professionnels. D'autant que, il existe un lien entre bien-être animal et qualité de la peau.

Parmi les thèmes abordés figure aussi celui du « capital humain » : il pointe l'enjeu crucial du recrutement, dans un pays qui valorise les métiers intellectuels par rapport à ceux manuels : 10 000 emplois sont par exemple à pourvoir dans la mode et le luxe... À ce titre, la filière s'efforce, notamment, d'encourager toutes les démarches de valorisation de son savoir-faire. À l'image du label EPV, Entreprise du Patrimoine Vivant : 110 entreprises du secteur le détiennent. Des initiatives locales ont également vu le jour, dont la plus célèbre est peut-être celle de Romans-sur-Isère (Drôme) : la ville a vu naître une « Cité de la chaussure », fruit des efforts d'un écosystème d'entreprises qui travaille depuis des années à faire renaître la tradition de cette ancienne capitale du métier.