Abus de droit en matière fiscale, du but exclusivement au but principalement fiscal

Abus de droit en matière fiscale, du but exclusivement au but principalement fiscal

Le projet de loi de finances pour 2014 a été adopté définitivement par l’Assemblée Nationale le 20 décembre 2013.
Plusieurs articles additionnels ont été adoptés en matière de lutte contre la fraude, l’évasion ou l’optimisation fiscale. Une modification importante de l’article L 64 du livre des procédures fiscales traitant de l’abus de droit a été adoptée à travers un amendement que le gouvernement a complaisamment laissé adopter.
Aujourd’hui, l’alinéa 1er de l’article 64 du LPF est ainsi rédigé : « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». L’abus de droit se définit donc par deux critères alternatifs :
– soit les actes en cause sont fictifs ;
– soit ils méconnaissent l’esprit de la loi, dans le but exclusif d’échapper en tout ou partie à l’impôt.
Désormais, au premier alinéa de l’article L. 64 du LPF, les mots : « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui » sont remplacés par les mots : « ont pour motif principal ». L’alinéa 1er de l’article 64 du LPF est donc désormais rédigé de la manière suivante :
Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (…)” Cette modification s’appliquera aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2016 pour les seuls actes réalisés à compter du 1er janvier 2014. L’exposé des auteurs de cet amendement affirme qu’il a pour objet de mettre en oeuvre la proposition n°1 du rapport de la mission d’information sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international (rapport d’information n° 1243, juillet 2013). Les auteurs de l’amendement font valoir que “les conditions permettant aux vérificateurs d’engager un redressement sur le fondement de l’abus de droit sont lourdes, puisqu’ils doivent cumulativement prouver que le contribuable a […] consciemment détourné l’intention du législateur [et] démontrer qu’il l’a fait dans l’unique but de réduire son imposition. Or il peut être assez aisé pour l’entreprise d’opposer à l’administration ne serait-ce qu’un seul argument de caractère non fiscal, même ténu, à l’appui de l’acte contesté.” Pour les parlementaires, la tache des vérificateurs serait rendu compliquée par des contribuables qui invoqueraient des motifs non fiscaux à une opération qui a des incidences fiscales. Rappelons à nos élus qu’une opération qui a des conséquences fiscales a bien souvent des motifs autres et choisir la solution fiscale la moins couteuse n’a rien d’abusif. Désormais, pour être tranquille et s’assurer de nuits apaisées, il faudrait choisir la solution fiscale la plus onéreuse. Cette notion de motif principalement fiscal est totalement arbitraire. Monsieur Olivier Fouquet avait traité de l’abus de droit dans son rapport rendu à propos de la sécurité juridique en matière fiscale (2008). “Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche » et il disait :
En outre, la substitution de la notion de but exclusif par celui de but essentiel conduirait, même limitée à la seule matière TVA, à d’importantes difficultés en termes de gestion de la procédure : il est, en effet, délicat de chercher à pondérer l’importance relative des différents motifs qui ont pu présider à une opération quand il est bien plus objectif de rechercher l’existence d’un motif non fiscal pour exclure l’abus de droit. Le Conseil d’Etat risquerait de n’être plus en mesure d’assurer l’application uniforme du concept d’abus de droit en laissant aux juges du fond une marge d’appréciation souveraine sur le caractère « essentiel » du but fiscal poursuivi. Au regard de la sécurité juridique, il s’agirait d’une régression importante et coûteuse en termes d’image pour notre pays “.
Comment le vérificateur et ensuite le juge vont-ils pouvoirs quantifier et comparer les motifs fiscaux aux motifs économiques, juridiques, patrimoniaux pour juger, in fine, que l’opération a un motif ou non principalement fiscal ? Choisir la solution fiscale la moins onéreuse deviendra-il abusif ?
Si l’exposé des motifs de l’amendement vise l’optimisation des grandes entreprises, et en particulier les opérations internationales, l’article 64 du LPF est bien modifié pour tous les contribuables.
Depuis que le Ministre en charge du Budget et de la lutte contre la Fraude fiscale a été pris en flagrant délit de mensonge c’est l’escalade législative avec des dispositifs de plus en plus attentoires aux droits et libertés dans un climat général de paranoïa fiscal. L’inquisition fiscale est bien en marche avec cette réforme qui satisfait les fonctionnaires de Bercy qui en sont les inspirateurs.
Un dernier espoir demeure avec le contrôle de constitutionalité auquel le texte, avant sa publication, sera soumis d’ici la fin de l’année