Code du travail, la réforme de la discorde

Le plafonnement des indemnités prud’homales ? une mesure « plus équitable, et plus équilibrée » pour Me Gauthier d’Hellencourt.
Le plafonnement des indemnités prud’homales ? une mesure « plus équitable, et plus équilibrée » pour Me Gauthier d’Hellencourt.

 

Pour Nicolas Decayeux, président du Medef Somme, face à la baisse d’activité et au manque de visibilité, « il est temps de revoir l’équation du travail ».Le gouvernement préfère parler de compromis plutôt que de recul. Une chose est sûre, même s’il a revu la copie du projet de réforme du Code du travail, celui-ci n’a certainement pas fini de faire couler de l’encre, ni de susciter la grogne de ceux qui y sont farouchement opposés. À contre-courant d’une grande partie de l’opinion, les patrons picards y voient globalement des mesures qui dans les grandes lignes leur permettraient de mieux respirer.

Le gouvernement préfère parler de compromis plutôt que de recul. Une chose est sûre, même s’il a revu la copie du projet de réforme du Code du travail, celui-ci n’a certainement pas fini de faire couler de l’encre, ni de susciter la grogne de ceux qui y sont farouchement opposés. À contre-courant d’une grande partie de l’opinion, les patrons picards y voient globalement des mesures qui dans les grandes lignes leur permettraient de mieux respirer.

C’est un feuilleton aux allures de saga, décrié, contesté. L’avant-projet de la fraîchement nommée ministre du Travail Myriam El Khomri n’en finit pas de connaître des rebondissements. Le gouvernement a finalement opté pour l’apaisement, en le remaniant avant qu’il ne soit présenté au Conseil des ministres le 24 mars, pour un vote prévu en mai à l’Assemblée nationale. Certains points de crispation ont été revus, voire supprimés, c’est le cas du plafonnement des dommages et intérêts accordés aux Prud’hommes en cas de licenciement abusif. La barémisation initialement prévue devenant indicative, avec les mêmes plafonds que ceux de la première mouture, à savoir des plafonds compris entre trois et 15 mois selon l’ancienneté du salarié. Me Gauthier d’Hellencourt, avocat à Amiens, trouvait pourtant que le plafonnement des indemnités prud’homales était plutôt une bonne mesure, « plus équitable, et plus équilibrée, d’autant que le juge pouvait s’affranchir de cette limite fixée selon les cas, comme des fautes graves ou du har. Pour Nicolas Decayeux, président du Medef Somme, face à la baisse d’activité et au manque de visibilité, « il est temps de revoir l’équation du travail ».

cèlement. Sans compter que par peur des Prud’hommes, certains patrons hésitent à recruter, et d’autres se retrouvent en liquidation judiciaire parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer… Les plafonds avaient été fixés de façon intelligente, d’autant qu’il est possible d’y déroger ». La mesure concernant les licenciements économiques a elle été seulement modifiée, les juges pourront désormais vérifier que les multinationales n’organisent pas de façon artificielle leurs difficultés économiques pour licencier en France. Les critères justifiant le licenciement économique restent eux les mêmes, à savoir quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d’affaires, et deux trimestres consécutifs de perte d’exploitation. « Sur ce point, il était temps de clarifier les règles et tenir compte du contexte économique, mais là encore des garde-fous existent, l’accord de branche peut fixer la limite de la baisse du chiffre d’affaires. Objectivement, cette loi proposée par le gouvernement était bien », estime Me Gauthier d’Hellencourt. Et s’il parle au passé, c’est que les dernières modifications le laissent pour le moins perplexe : « Je trouve que le but poursuivi à savoir la simplification du Code du travail va finalement avec ces amendements le rendre plus complexe encore. Je trouve également que la suppression des plafonds d’indemnité prud’homale qui ne seront finalement qu’indicatifs n’a aucun intérêt. Je trouve enfin déplorable qu’une loi à l’origine équilibrée et équitable soit modifiée uniquement pour satisfaire aux exigences d’un syndicat… » Un sentiment partagé par le président de la CGPME Oise Charles Locquet (également à la tête de l’agence de publicité beauvaisienne Idée claire communication), avant la refonte du projet : « Renoncer au barème plafonnant les indemnités en cas de condamnation prud’homale ou abandonner la sécurisation des motifs de licenciement économique viderait une grande partie de la réforme de son sens », livrait-il avant la refonte du projet. La nouvelle mouture dévoilée le 14 mars par le Premier ministre Manuel Valls lui laisse donc un goût amer : « C’était bien parti et finalement je suis véritablement déçu. J’avais soutenu cette loi et même appelé nos adhérents à signer une pétition de soutien, c’est une réforme à l’envers, je ne vois que peu d’avancées pour les PME. L’avant-projet de texte portant la réforme du travail est aujourd’hui en réanimation artificielle ! »

Charles Locquet, à la tête de la CGPME Oise, se, dit « véritablement déçu » des nouvelles mesures dévoilées par le gouvernement le 14 mars dernier.

Desserrer et alléger Car pour Charles Locquet, « les entreprises, pas plus que les salariés, n’ont besoin de nouvelles protections mais elles attendent avec impatience les nouvelles libertés promises ». Et c’est cet esprit insufflé par le projet qui séduisait les patrons de la région, qui y voyaient le moyen d’avoir plus de visibilité, de flexibilité et de souplesse pour enfin sortir de la crise, se développer et embaucher. « Il faut bien comprendre que le droit du travail en France doit être réformé au regard de la création d’emplois en dix ans : environ 200 000 dans notre pays, contre 3 millions en Allemagne. Nous devons nous poser certaines questions… et y répondre en agissant pour diminuer le taux de chômage. C’est un problème qui concerne les entreprises, puisque ce sont elles qui embauchent, mais il faut qu’elles soient dans un contexte qui leur donne la possibilité et l’envie de le faire, explique Érick Maillet, président de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) Picardie dirigeant de la société Aqle, à Saint-Just-en-Chaussée (Oise). Les entreprises misent avant tout sur l’homme et sont capables d’embaucher même sans un carnet de commandes qui déborde… Aujourd’hui, ce qui les freine, c’est la lourdeur du Code du travail, il faut desserrer l’étau, et arrêter d’empiler les charges sur les entreprises, qui s’élèvent en France à 60%, contre 40% pour les pays d’Europe du Nord. » « L’environnement économique est instable et il n’est pas possible de se projeter dans l’avenir. La visibilité des entreprises est de plus en plus raccourcie, avec des carnets de commandes à quelques jours, confirme Nicolas Decayeux, président du Medef Somme, et dirigeant de Decayeux Industrie à Feuquières-en-Vimeu. Anticiper et financer les stocks est devenu compliqué. Notre législation du travail est désormais inadéquate, que le gouvernement ait voulu alléger le Code du travail est une bonne chose, d’autant qu’il a sécurisé certains points comme pour les licenciements économiques qui représentent une dépense en temps énorme », mais le plus important réside pour le patron des patrons samariens dans la flexibilité, et la possibilité de moduler le temps de travail : « Pour répondre à la non visibilité, il nous faut plus de modularité, c’est un système gagnant-gagnant, tant pour le salarié que pour le dirigeant », martèle Nicolas Decayeux.

Le plafonnement des indemnités prud’homales ? une mesure « plus équitable, et plus équilibrée » pour Me Gauthier d’Hellencourt.

Demi-teinte Dans la nouvelle version du projet, cette modulation relèvera en partie de l’employeur, mais sur deux mois, le précédent texte ne prévoyait pas lui de limite, et la décision ne dépendait que du dirigeant. « La souplesse un temps évoquée à ce sujet n’aura bien été qu’un mirage », commente de son côté Charles Locquet, qui craint « une nouvelle forme de distorsion » entre les PME et les grandes entreprises qui contrairement aux premières peuvent passer des accords avec les syndicats de salariés. Nicolas Blangy, récemment élu à la tête de la Fédération du BTP de la Somme et parallèlement patron du groupe amiénois PRM, a peu ou prou la même analyse : « Il est évident qu’il faut réformer le Code du travail tant il est devenu complexe et pèse négativement sur l’emploi et le développement économique des entreprises. » Le chef d’entreprise estime pour autant que certains points du projet sont à revoir : « Ne nous y trompons pas, le projet de loi n’est pas non plus un rêve pour les entreprises comme certains essayent de le laisser penser. Il comporte aussi des points négatifs pour les employeurs (intégration dans le Code du travail des 61 principes issus de la Commission Badinter… la recherche de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle deviendrait une obligation, la généralisation de l’accord d’entreprise majoritaire… un accord d’entreprise ne serait valable que s’il était signé par des syndicats représentant 50% des suffrages exprimés aux élections professionnelles, ou encore l’augmentation de 20% des heures de délégation des délégués syndicaux… qui n’est pas la mesure la plus adaptée pour développer l’emploi ! ». Un dernier point que Nicolas Decayeux juge « problématique » : « Il est bien sûr normal de favoriser le dialogue social dans l’entreprise, mais il faut également y injecter de la valeur ajoutée ». La conclusion de Charles Locquet : « Au final ce qui était présenté comme la réforme du siècle s’est muée en réforme à l’envers par la magie d’un gouvernement qui a cédé aux pressions de la rue et de syndicats “réformistes”. » Érick Maillet préfère lui se montrer optimiste : « C’est un premier pas, une avancée significative, le gouvernement a tout de même pris conscience que les entreprises avaient besoin d’air. Il faut se concentrer sur l’essentiel, à savoir sécuriser les entreprises et redonner confiance. L’enjeu, c’est de renouer avec l’emploi, et il est plus important que les points problématiques qui provoquent craintes et colères. » L’optimisme d’Érick Maillet a été quelque peu écorné : « Avec ces reculs, c’est un tout petit petit pas qui a été réalisé… et c’est très dommageable. Il faut que le gouvernement comprenne que les PME n’ont pas besoin des syndicats pour leurs négociations internes, le dialogue existe, et il est de qualité, entre les dirigeants de PME et leurs salariés. Cet étau que le gouvernement avait commencé à desserrer se referme un peu plus sur les entreprises, qui n’auront ni la liberté ni la confiance dont elles ont besoin, ne perdons pas de vue que ce sont elles qui créent de l’emploi. »