Comment sortir d'un monde plastique ?

Faut-il améliorer le recyclage, mieux concevoir les produits, apprendre à se passer des emballages ? Pour sortir du tout plastique, une combinaison de solutions s'impose, dont l'articulation constitue un véritable enjeu de politique publique.


© Adobe stock.
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Les êtres humains ingèrent 5 grammes de plastique par semaine. Tout le monde a en tête l'image du terrifiant « 7e continent » de plastique qui flotte dans l'Océan pacifique, mais les sols sont plus pollués encore. Même l'Everest n'est pas épargné ! Et la catastrophe écologique n'est pas près de s'arrêter : chaque année, 350 millions de tonnes supplémentaires de ce matériau sont produites dans le monde... Restituant l'ampleur de l'enjeu, ces quelques chiffres ont été délivrés en introduction de la rencontre économique consacrée à « Quels leviers pour lutter contre la pollution plastique ? », organisée par l'IGPDE, l'Institut de la gestion publique et du développement économique (qui dépend de Bercy), en mai dernier. Faut-il éliminer les produits à usage unique, décréter la fin du suremballage, améliorer le recyclage, booster le réemploi, miser sur les nouveaux matériaux ? « Il faut mettre à mal idée selon laquelle une solution unique va régler le problème. C'est forcément une combinaison », répond Valentin Fournel, directeur éco-conception et réemploi de Citeo, l'écoorganisme des producteurs de papiers et emballages ménagers (y compris en plastique).

Pour sa partie, il plaide tout d'abord pour une amélioration des pratiques du tri, tant la marge de progression est importante : « En France, 70% des déchets plastiques ne sont pas triés. C'est un vrai sujet », explique Valentin Fournel. Pour lui, il faut aussi développer fortement le réemploi et l'écoconception des produits. Cette dernière fait partie des sujets que l'Ademe, Agence de la transition écologique, développe lorsqu'elle accompagne des entreprises qui s'attachent à réduire leur utilisation de plastiques. Il s'agit de n'utiliser que la quantité de matériau réellement utile, de choisir celui plus opportun, de prendre en compte la durée de vie et la possibilité de réparer le produit... « 40% des produits en plastique sont jetés moins d'un mois après l'achat », souligne Hélène Bortoli Puig, cheffe du service écoconception et recyclage de l’Ademe. L'association Zéro Waste, qui lutte pour la réduction des déchets, plaide pour une solution plus radicale : « la véritable question à se poser est : cet emballage était-il réellement nécessaire ? », argumente Juliette Franquet, sa directrice.

Du point de vue environnemental, en effet, un produit ou un emballage qui n'est pas fabriqué est le plus vertueux de tous ! Il l'est plus que celui qui est réemployé, lequel est plus vertueux que le produit recyclé, lui-même plus vertueux que celui incinéré...En clair, si toutes les solutions peuvent avoir leur utilité, c'est la question de leur priorisation qui se pose. Réseau Vrac, association qui réunit les professionnels de la vente en vrac, va dans le même sens. Pour Célia Rennesson, sa directrice générale, « le fait de pouvoir acheter dans son propre contenant est évidemment la meilleure solution ». Dans la consommation des ménages, les « paniers alternatifs », composés, par exemple, de lait dans un flacon consigné pour réemploi et de pâtes en vrac sont plus vertueux écologiquement que ceux classiques. Ils permettent de réduire de manière significative la quantité annuelle de déchets plastiques et des émissions de gaz à effet de serre, selon l'étude du WWF, « Le plastique, ça n'emballe plus ? Pour des alternatives aux emballages plastiques à usage unique » (2020).

Contraindre et/ou encourager ?

Au delà de l'apport spécifique de chacune de ces solutions, se pose un autre enjeu crucial : comment les implanter massivement dans notre société qui s'est convertie au « tout plastique » dans les années 1950 ? Ces années là, l'industrie chimique a apporté des solutions peu coûteuses et pratiques au modèle de société qui émergeait, basé sur la consommation et le jetable. « Il faut radicalement changer de mode de production, et ce, très rapidement », alerte Juliette Franquet. Déjà, pour les entreprises, le cadre légal se fait toujours plus contraignant, fruit d'une prise de conscience des instances politiques. BTP, transports, jouets, textiles...« tous les secteurs d'activité, tous les produits sont concernés », souligne Hélène Bortoli Puig. Au niveau européen, par exemple, la directive de juin 2019 interdit de mettre sur le marché pailles ou couverts en plastique à usage unique.

En France, le cap pour la suppression des emballages en plastique à usage unique est fixé à 2040 par la loi Agec, loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, adoptée en 2020. Le texte fait également la promotion du vrac et du réemploi. Pour Célia Rennesson, le fait de disposer d'un cadre réglementaire s'avère fondamental. « Cette loi est très importante. Elle donne une existence au vrac dans le Code de la consommation. Ainsi, le consommateur a le droit de faire ses courses avec son contenant, à condition qu'il soit adapté à l'usage. Cela permet de se passer du plastique à usage unique au quotidien », explique-t-elle. Aujourd'hui, Réseau Vrac œuvre pour faire évoluer le cadre légal, afin de rendre éligibles au vrac certains produits qui ne le sont pas (comme les surgelés, contrairement à l'Italie, par exemple).

Cependant, les textes ne suffisent pas, selon Juliette Franquet. « Des sanctions prévues par la loi ne sont pas appliquées », regrette la directrice de Zéro Waste. Une enquête menée par l'association en janvier dernier dans 286 fast-foods a montré que plus de la moitié ne proposaient pas de vaisselle réutilisable en salle, comme l'impose pourtant la loi Agec....

Pour les tenants du développement de ces pratiques nouvelles, une politique publique plus volontariste s'impose. Avec une fiscalité et des sanctions plus dissuasives pour les producteurs de déchets, pour Zéro Waste. Mais aussi avec des outils destinés à encourager l'émergence du vrac et du réemploi. « La commande publique constitue un levier primordial », estime Juliette Franquet. Célia Rennesson, elle, souligne la nécessité de trouver des solutions d'amorçage financier, afin d'accompagner la structuration de ces filières nouvelles. Les investissements nécessaires sont importants. A moins, bien sûr, que la solution à tout ne réside dans les nouveaux bioplastiques... Mais Chahinez Aouf, chercheuse à l’INRAE, l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, met en garde : le sujet est extrêmement complexe et « bioplastique », un terme « parapluie » qui abrite des matériaux à la vertu écologique extrêmement variable (de bonne à mauvaise). Un bioplastique peut n'être qu'en partie bio sourcé, provenant pour partie seulement de la biomasse végétale. Et même s'il l'est totalement, il n'est pas nécessairement biodégradable dans des conditions naturelles...