Crise de l’énergie : des industriels interpellent l’État pour sauver leur activité

Une « hécatombe » d’entreprises se prépare si l’État ne prend pas les mesures adéquates face à la crise énergétique. Un collectif d’organisations représentant l’industrie plaide pour une évolution des politiques publiques. Il alerte aussi sur d’autres crises majeures à venir.

Olivier Lluansi, associé Strategie& (PwC). ©Anne DAUBREE
Olivier Lluansi, associé Strategie& (PwC). ©Anne DAUBREE

Se mobiliser, avant qu’il ne soit trop tard. Le 13 décembre dernier, à Paris, plusieurs organisations représentant le monde de l’industrie, dont les Forces Françaises de l'Industrie, la Société d'encouragement pour l'industrie nationale et Relocalisations.fr tenaient une conférence de presse pour alerter l’opinion et lancer une pétition (disponible sur change.org). Elles ont demandé la mise en place d’un « dispositif d’urgence énergétique pour l’industrie en France ». « Les solutions, nous les connaissons, elles sont assez simples », déclarait Olivier Lluansi, ancien conseiller industrie et énergie de François Hollande, aujourd’hui associé chez Strategy&, entité de conseil en stratégie de PwC. Le collectif préconise plusieurs mesures, parmi lesquelles le rééquilibrage des aides publiques accordées pour faire face à la crise énergétique, en faveur de l’industrie. Dans le dispositif actuel, « 10 % seulement des montants sont consacrés à l’industrie, alors que l’énergie est au cœur de l’industrie », dénonce Olivier Lluansi. La hausse des prix actuelle devrait coûter 45 milliards d’euros aux entreprises, mettant en péril leur modèle économique. Une « hécatombe » progressive s’annonce, selon Olivier Lluansi.

En matière de politique énergétique, les industriels demandent aussi à disposer d’une vision claire du calendrier de redémarrage des centrales nucléaires. « Nous avons besoin d’informations pour prendre des décisions d’investissement », pointe Olivier Lluansi. Mais surtout, le collectif plaide pour un découplage du prix de l’électricité de celui du gaz. « Il faut arrêter avec le mode de fixation actuel du prix de l’électricité (..) et faire ce qu’ont fait les Portugais et Espagnols », plaide l’ancien dirigeant Louis Gallois, co-président de la Fabrique de l’industrie, également présent. En outre, le collectif en appelle à la mobilisation de la commande publique (120 milliards d’euros) pour soutenir l’industrie hexagonale.

Un contexte inquiétant au-delà de la crise énergétique

Au delà de ces mesures d’urgence, Christian Saint-Étienne, économiste, s’est exprimé en faveur d’une « rupture de politique stratégique » en matière d’industrie. Car la crise énergétique actuelle n’est pas son seul problème. L’économiste rappelle que l’industrie est aujourd’hui dans un état de faiblesse qui résulte d’un long passé de choix erronés en matière de politiques publiques et d’analyses inexactes. En particulier, dans les années 1990, « la France était convaincue d’entrer dans un monde post-industriel, post travail. C’était une erreur colossale », estime l’économiste. Il désigne la responsabilité des pouvoirs publics, avec la loi sur les 35 heures, mais aussi l’aveuglement du monde économique, symbolisé par Serge Tchuruk déclarant qu’« Alcatel doit devenir une entreprise sans usines », en 2001.

Depuis, le diagnostic a été posé, mais « les mesures prises n’ont pas été à la hauteur du problème », juge Christian Saint-Étienne. Or, au-delà du contexte énergétique déjà difficile qu’affronte une industrie faible, d’autres problèmes sont à venir. « Les risques à moyen terme sont aussi sérieux », estime Louis Gallois. Pour lui, sur fond de mésentente franco-allemande sur l’enjeu crucial de l’énergie, la confrontation croissante entre Chine et USA risque de réduire l’Europe au statut de « ventre mou du commerce mondial », terrain de jeu des deux géants. À court terme, déjà, les États-Unis, disposent d’une énergie bon marché et, via le Inflation Reduction Act vont déployer 400 milliards de dollars pour soutenir leur industrie. « Il n’y a pas photo, les entreprises vont aller là bas. Northvolt, fabriquant de batteries électriques, devait aller en Allemagne, mais ils ont finalement opté pour les États-Unis », illustre Louis Gallois. Pour lui, la réponse ne peut être qu’européenne.