Défaillances d’entreprises : un retour à la normale, selon les administrateurs et mandataires judiciaires

Spécialistes de l’accompagnement des entreprises en difficultés, les administrateurs et les mandataires judiciaires estiment que la forte hausse des défaillances d’entreprises observée depuis deux ans n’est pas le signal d’un retournement de conjoncture, mais le retour à la situation pré-covid.

(c) Adobe Stock
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Comment doit être interprétée la forte remontée des défaillances d’entreprises en France depuis deux ans ? S’agit-il d’un rattrapage post-covid qui vient sanctionner les entreprises maintenues artificiellement en vie par les aides publiques attribuées pendant la crise sanitaire et pour la relance ? Ou cette tendance est-elle un signal de retournement de conjoncture ? Telles sont les questions que le président de la Délégation sénatoriale aux entreprises, Olivier Rietmann (LR Haute-Saône), a posées au président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), Frédéric Abitbol, lors d’une table ronde organisée au Sénat, le 9 novembre dernier, sur le thème « Hausse des défaillances d'entreprises : un signal d’alerte ? ». Ce dernier, qui représente environ 150 administrateurs judiciaires et plus de 300 mandataires judiciaires, s’est montré rassurant.

Retour à « la vie normale des affaires »

Il a tout d’abord rappelé que le nombre de défaillances était « anormalement faible » pendant et après la crise sanitaire, en raison du soutien accordé aux entreprises par les pouvoirs publics. « En tendance de long terme en France, nous avons entre 50 000 et 60 000 défaillances par an », a-t-il précisé. Des dossiers qui concernent « un très grand nombre d’entreprises qui comptent zéro salarié » : « les entreprises qui font défaut, c’est un monde de TPE ».

« Avec 43 000 procédures ouvertes à fin octobre 2023, nous allons arriver autour de 50 000 à la fin de l’année. On est donc plutôt dans le bas de la moyenne à long terme. Il n’y a absolument pas de tsunami, pas de vague de défaillances. On revient à l’étiage normal de l’économie française, de la vie normale des affaires. » Côté emplois menacés, « on va être autour de 200 000 salariés concernés par des procédures collectives cette année » et, là encore, « on est à peu près dans l’étiage normal de l’économie française ».

L’analyse sectorielle et régionale des défaillances d’entreprise ne traduit rien d’alarmant non plus : hormis « le monde de la sous-traitance automobile, qui vit une transformation radicale » et « l’immobilier, qui commence à souffrir assez fort, et ce n’est que le début », « nous, on ne voit pas de secteurs dans lesquels il y aurait une poussée particulière ».

Et de conclure : « L’économie n’est pas très dynamique, mais nous sommes toujours à un étiage bas en termes de défaillances. Où en serons-nous l’année prochaine ? Nous n’avons pas de boule de cristal, mais il n’y a pas de raison de penser que les choses vont s’améliorer considérablement ou se dégrader de façon spectaculaire. »

Une boite à outils performante « pour sauver les entreprises et les emplois »

Autre raison de ne pas s’alarmer, selon le président du CNAJMJ : la qualité de l’accompagnement des entreprises en difficulté en France. Tout d’abord, « nous traitons chaque année environ 7 000 dossiers d’entreprises dans le cadre des procédures de prévention », et notamment la conciliation, qui est une procédure amiable confidentielle, « et le taux de succès est de 80% ».

Ensuite, « contrairement à d’autres pays où la priorité est de payer les créanciers, en France, la priorité est de sauver les entreprises et les emplois ». Pour ce faire, « nous avons en France une boite à outils qui est la plus développée du monde » et, « au regard de nos objectifs qui sont de sauver l’entreprise et les emplois, c’est de loin le plus efficace des systèmes ». Et « cela ne se fait pas au détriment des créanciers, contrairement à ce que l’on peut penser. En gros, quand une entreprise dépose le bilan, elle paie environ 20% de ses dettes, comme à peu près partout dans le monde », ce qui représente environ 7 milliards d’euros versés aux créanciers privilégiés, chaque année, en France.

Pas d’inquiétude, non plus, du côté du remboursement des PGE

Interrogé par les sénateurs sur les éventuelles difficultés que pourrait générer le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) pour les entreprises qui en ont bénéficié, le président du CNAJMJ s’est à nouveau montré rassurant. « Le taux de défaillance de remboursement des PGE le plus récent est de 4%. Ce n’est pas massif. Cela veut dire, qu’à ce stade, 96% des remboursement de PGE sont payés. Nous ne sommes qu’au début de la phase de remboursement et il y aura évidemment plus de 4% de défaillances. Mais ce n’est pas un tsunami. »

« Environ 700 000 PGE de quelques dizaines de milliers d’euros ont été mis en place, de petits prêts pour de petites entreprises », a-t-il souligné, et « ces liquidités accordées aux TPE et PME ont souvent été très bien utilisées » par ces entreprises qui ont souvent du mal à accéder aux prêts bancaires. Bien sûr, « on savait qu’il y aurait de la fraude, des PGE mal employés, et des défaillances lors du remboursement ». Mais, « de notre point de vue, il n’y avait pas de meilleure façon de faire à l’époque et il fallait le faire », même si, « dans la masse », certaines entreprises rencontrent des difficultés de remboursement et que certains prêts ont été accordés à des entreprises non viables. Et d’ajouter : « toutes les entreprises viables, on les sauve en France », le cas échéant dans le cadre d’un plan de cession.

La cybercriminalité pourrait devenir la première des causes des défaillances des entreprises

Sur le terrain de la prévention des difficultés des entreprises, « il y a un outil qui me paraîtrait très utile et dont le juge [consulaire] ne dispose pas », a expliqué le président de la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF), Michel Peslier, au cours de cette table-ronde organisée par la Délégation sénatoriale aux entreprises. Lorsqu’un débiteur connaît des difficultés avec l’administration fiscale, cette dernière ne les communique pas au président du tribunal de commerce, pour des raisons confidentialité. « C’est un des organismes qui ne les communiquent pas, alors que le président de tribunal de commerce est tenu à la confidentialité. Je crois que ce serait un bon outil de prévention des difficultés des entreprises, nous pourrions faire une avancée majeure. »

Autre problématique que le représentant des 3 500 juges des tribunaux de commerce de France a tenu à porter à l’attention des sénateurs : la montée en puissance des cyberattaques. Aujourd’hui, « la première cause des défaillances des entreprises en France, c’est la défaillance du compte client ». Or, « on note que les risques relatifs à la cybercriminalité vont devenir la première des causes des défaillances des entreprises. Nous avons aujourd’hui des entreprises qui sont attaquées et qui ne se remettent pas de ces attaques. »

M.L.