Entretien avec le président Gilles Vatbled

En ces temps plus que perturbés pour les entreprises, le rôle de conseil des commissaires aux comptes est aujourd’hui encore plus nécessaire qu’à l’accoutumée. Entretien avec Gilles Vatbled, le président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC) d’Amiens, qui livre sa vision de la situation et revient sur l’accompagnement de la profession.

Gilles Vatbled.
Gilles Vatbled.

Picardie La Gazette : Comment analysez-vous cette nouvelle phase de l’activité ?

Gilles Vatbled : Cette phase de reprise fait planer beaucoup d’incertitudes sur le entreprises, qui ont vu leur chiffre d’affaires durant le confinement fortement chuter, voire devenir inexistant. Pour le moment, nous n’avons qu’une quinzaine de jours de recul, c’est trop peu pour tirer des conclusions mais nous sommes quand même intimement convaincus, pour échanger avec nos clients, qu’ils vont avoir ou ont déjà des problèmes stratégiques par rapport à leur activité, couplés à des problèmes de productivité, en raison des mesures sanitaires à respecter, problèmes qui impacteront à terme la rentabilité.

De quel ordre sont ces problèmes stratégiques que vous évoquez ?

Il s’agit souvent d’un repositionnement stratégique de leur activité telle qu’elle était exercée avant le confinement, et qui va évoluer. La stratégie complète de l’entreprise va devoir être rééduquée, avec un repositionnement des produits, de la clientèle… La crise a modifié leurs habitudes de travail, fait prendre conscience que des risques imprévisibles pouvaient survenir.

Dans ce contexte économique inédit, comment les commissaires aux comptes ont-ils accompagné les entreprises ?

La procédure d’alerte fait partie des missions de la profession, elle est lancée lorsqu’on estime que l’entreprise risque de se heurter à des ruptures de trésorerie. Nous ne l’avons pas fait durant le confinement, nous n’avions pas à prévenir les chefs d’entreprise des risques étant donné que tout le monde le savait. En revanche, nous les avons aidés en prenant contact avec eux, en leur demandant s’ils étaient accompagnés, d’experts-comptables notamment, et s’ils avaient bien connaissance de l’ensemble des mesures gouvernementales, complexes, auxquelles ils pouvaient prétendre. Il s’agissait aussi de les soutenir moralement et de les écouter.

Et depuis la reprise, sur quels points se concentre votre action ?

Notre métier, c’est de mettre le doigt sur les risques, il ne faut pas se voiler la face : les entreprises vont très rapidement se heurter à un mur de dettes. Dans un premier temps, nous nous assurons que les clients ont bien conscience des échéances de remboursements à venir. Nous les incitons à monter des Business plans et prévisionnels, sans occulter les problèmes qu’ils pourraient rencontrer. Ce point est primordial, les entreprises ont eu des prêts bancaires, de PGE avec ces prévisionnels, elles doivent impérativement indiquer des données raisonnables, au regard des risques supportés pendant ces deux mois. Les commissaires aux comptes sont en mesure d’apporter ce regard critique pour ne pas minimiser les difficultés.

il ne faut pas se voiler la face : les entreprises vont très rapidement se heurter à un mur de dettes”

Ces délais de remboursements vous paraissent-ils tenables pour les entreprises ?

Clairement non. Il va falloir à un moment supprimer ces échéances, en tout ou partie. Les TPE/ PME, mais aussi les très grandes entreprises, et c’est une particularité française, ont un manque de fonds propres, et on avait déjà avant la crise des entreprises aux trésoreries plutôt tendues. La deuxième spécificité nationale à mon sens, c’est le manque d’analyse des entreprises de leurs prix de revient. Avec une troisième problématique : le crédit inter-entreprise, qui avec l’arrêt des aides, va certainement se gripper. Les TPE/ PME ont tout de même un avantage par rapport à leur positionnement stratégique, c’est leur agilité comparé aux très grandes entreprises.

Comment envisagez-vous l’avenir immédiat pour les entreprises ?

Il n’y a pas du tout aujourd’hui un climat de confiance. Certains secteurs comme l’agroalimentaire fonctionnent toujours, même s’ils rencontrent des difficultés d’ordre logistique, RH, etc. mais la demande est là. Ce n’est pas la même donne par exemple pour les sous-traitants de l’industrie aéronautique, les commandes des grands donneurs d’ordre ont été stoppées. De nombreux secteurs géographiques risquent d’être fortement impactés.

Si vous aviez des conseils à délivrer aux chefs d’entreprise ?

Il y a une chose importante que les chefs d’entreprise ne doivent pas oublier : le Gouvernement a pris des mesures auprès des tribunaux de commerce pour les entreprises déjà en difficulté avant le confinement, ou qui risquaient de le devenir avec ce confinement. Pendant cette période d’urgence sanitaire, les liquidations de biens et les règlements judiciaires ont été suspendus. Le Gouvernement a également assoupli les mesures destinées à régler les problématiques de dettes des entreprises, comme la conciliation et les procédures de sauvegarde. Sauf que frapper à la porte du tribunal de commerce fait encore très peur à beaucoup de chefs d’entreprise, il faut absolument qu’ils s’y rendent avant qu’il ne soit trop tard pour bénéficier de ces mesures, qui vont leur apporter une bouffée d’air. Ce n’est pas un rôle très agréable pour les commissaires aux comptes de le faire, mais c’est de notre devoir d’informer les chefs d’entreprise de ces dispositions, qui ont encore plus la tête dans le guidon en ce moment et qui pour certains sont dans une période de sidération. Il faut savoir que d’être sous la protection du tribunal de commerce change tous les rapports avec les créanciers.

C’est la prévention qui bat son plein aujourd’hui…

C’est tout à fait ça ! C’est aussi le moment pour les entreprises d’aller challenger leurs conseils, en particulier les professionnels du chiffre. Il n’y a pas de honte à demander de l’aide, au contraire. C’est une crise inédite qui se gère au jour le jour.


La profession en chiffres

  • 150 commissaires aux comptes en Picardie.
  • 93 sociétés de commissariat aux comptes.
  • 3 000 entreprises auditées (qui emploient au total 100 000 personnes).