Industrie

Filière textile : l'avenir fragile des fibres naturelles

Ici et là, des initiatives se déploient pour cultiver le lin, le chanvre... Mais le défi du développement des fibres naturelles – laine comprise- , enjeu fort pour la filière textile française, ne pourra être gagné sans une diversification des débouchés et un soutien de l’État.

Globalement, les marques ont du mal à franchir le pas de la fibre naturelle. © Imagen Punto de Luz
Globalement, les marques ont du mal à franchir le pas de la fibre naturelle. © Imagen Punto de Luz

Pas de point d'interrogation, mais la conscience d'un défi loin d'être gagné : «Les fibres naturelles : une alternative écoresponsable pour l'avenir de la filière textile française». Ainsi était intitulée une table ronde tenue dans le cadre du salon Première Vision MIF consacré à l'industrie textile, le 2 avril, à Paris. «Il s'agit d'un sujet majeur actuel pour notre filière», a rappelé Christelle Perz, en charge de l’animation du Pôle Fibres Naturelles de l’UIT, Union des Industries textiles. Les enjeux sont pluriels : «de souveraineté», de disponibilité des ressources dans un contexte géopolitique troublé, environnementaux bien sûr, et probablement, demain, de demande sociétale.

Bonne nouvelle, «depuis cinq ans environ, on constate une effervescence sur le territoire. Des projets se montent pour recréer des écosystèmes autour de la laine, du chanvre, du lin ou de l'ortie», constate Christelle Perz. «Nous sommes partis de zéro», confirme Mathieu Ebbesen-Goudin, cofondateur de Virgocoop. En sept ans, il a réuni 100 agriculteurs qui produisent du chanvre, développé une usine de transformation et relancé un atelier de tissage, Tissages d’ Autan, en Occitanie... Autre exemple d'initiative, le Collectif Tricolore fondé en 2018, avec pour objectif de fédérer les très nombreux maillons qui constituent le complexe écosystème de la laine, actuellement très éclaté, afin de le rendre fonctionnel. «Nous faisons échanger les éleveurs, les négociants, les acteurs industriels, les marques», explique Cédric Auplat, président du Collectif qui réunit à présent une soixantaine de membres. Cédric Auplat préside également Peignage Dumortier, une entreprise nordiste, qui assure l’étape indispensable du traitement des fibres. Il a récemment investi dans un atelier pour traiter les fibres de chanvre et entend doubler ses capacités de production l'an prochain.

Demande, es-tu là ?

Cette offre naissante trouve-elle des débouchés ? Chez Lacoste, par exemple, «l'entreprise utilise déjà 95% de fibres naturelles, essentiellement du coton», témoigne Patrick Vignal, vice-président chargé de la recherche et développement chez Lacoste. Pour la société, les enjeux du sourcing sont ceux de la traçabilité- demande croissante du consommateur- et de la disponibilité des matières, potentiellement compromise par des aléas climatiques et géopolitiques. Résultat, «pour le coton, nous pensons à des alternatives de fibres comme le lin, ou le chanvre, par exemple. (…) Comme marque internationale, pour nous, le local pour la France, c'est la France, et le local pour l'Amérique, c'est l'Amérique», précise Patrick Vignal.

Globalement, les marques ont du mal à franchir le pas de la fibre naturelle. «Trois cartons complets de lettres d'intention» : c'est ce qu' Olivier Ducatillion, président de l'UIT, dirigeant de Lemaitre-Demeestere, tisseur de lin et qui représente Bleu blanc lin et Bleu blanc chanvre, collectifs de promotion de ces fibres auprès des marques, explique avoir reçu de leur part dans l'élan post-Covid. «Nous avons réussi à convaincre des distributeurs d'entrée de gamme. Le luxe joue le jeu et essaie d'intégrer les fibres dans leurs collections, mais cela prend du temps. Le luxe abordable, on n'y arrive pas», se désole Olivier Ducatillion. Il rappelle que la France produit 70% du lin mondial, mais que 85% des tonnages partent vers l'Inde ou la Chine pour y être filés, tricotés... Dans un tout autre domaine, une entreprise a changé de cap : LCM, Custom Laminates Manufacturing qui fabrique des panneaux pour voiles de bateaux de compétition. Des voiles qui ont concouru au Vendée Globe comportaient 40% de fibres de lin. La société s'est même engagée dans un projet de filière de culture d'orties en Occitanie...

Indispensable diversification

Les participants à la table-ronde sont unanimes, le textile ne suffira pas à résoudre l'équation économique des filières de fibres naturelles. Au niveau de la production, la diversification permet d'exploiter au mieux les diverses ressources de la plante : par exemple, Virgocoop propose des fibres courtes et semi-longues de chanvre pour l'industrie textile. La partie intérieure de la tige de chanvre, la chènevotte, est proposée au secteur du bâtiment, pour l’isolation. La problématique est comparable pour les laines. Diverses qualités cohabitent selon les races de moutons et les laines comportent aussi des coproduits qui peuvent être exploités à l'image du suint, qui, raffiné en lanoline, est utilisé en pharmacie. Sur le plan industriel, «si nous voulons réussir à recréer ces équipements industriels, nous devons diversifier. Il n'y a pas que de l'habillement, il y a de l'ameublement, il y a des matériaux composites, il y a de l'emballage, il y a du géotextile, une multitude de sujets qui, mis ensemble, peuvent nous permettre de massifier», explique Cédric Auplat.

Un autre sujet fait l'unanimité : impulsion et soutien du politique sont indispensables au développement de ces fragiles écosystèmes naissants. Sur demande, en mai 2024, le Collectif Tricolore a remis une «Feuille de route nationale pour la structuration des filières laines françaises» au ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Plus d'un an plus tard, «il nous faut les moyens de financer cette feuille de route», note Cédric Auplat. Côté pouvoirs publics, ce sont aussi des évolutions du cadre légal qui sont attendues, afin de favoriser ce type de démarche et décourager la fast fashion. Pour Mathieu Ebbesen-Goudin, «nous sommes des filières du temps long. Nous avons besoin d'être soutenus en partie par le marché, les institutions, et aussi par la législation. La bonne volonté ne fera pas tout». En particulier dans le contexte actuel, particulièrement morose, dont tous redoutent les effets sur cette fragile renaissance.