Jeunes et bâtiment, le désamour ?

Dans l’imaginaire collectif, les jeunes boudaient les métiers du bâtiment, jugés à tort mal payés et trop pénibles, et les entreprises peinaient à trouver des apprentis. Mais ça, c’était avant… La tendance s’est aujourd’hui inversée. Les entreprises du bâtiment se heurtant à une conjoncture défavorable et à des carnets de commandes pas assez pleins, prennent moins d’apprentis sous leurs ailes.

Le BTP CFA de Laon compte 167 apprenants.
Le BTP CFA de Laon compte 167 apprenants.
En Picardie, sur l’année 2013/2014, 2 225 contrats d’apprentissages ont été signés dans le BTP, un chiffre en baisse.

En Picardie, sur l’année 2013/2014, 2 225 contrats d’apprentissages ont été signés dans le BTP, un chiffre en baisse.

Si dans certains secteurs, la crise n’est plus qu’un récent souvenir, dans le bâtiment elle est toujours présente, et l’embellie n’est pas attendue avant 2016.

Conséquence de ce manque d’activité et de carnets de commandes à la baisse : les entreprises embauchent moins volontiers de jeunes en contrat d’apprentissage. En Picardie, sur l’année 2013/2014, 2 225 contrats d’apprentissages ont été signés dans le BTP, un chiffre en baisse. François Delhaye, président de la FFB Picardie (1 400 entreprises adhérentes représentant deux tiers des effectifs et du chiffre d’affaires du secteur) et PDG de l’entreprise d’électricité Télécoise à Beauvais, qui emploie 247 personnes, le reconnaît : « Aujourd’hui, peu d’entreprises embauchent des jeunes, une situation qui s’explique notamment par l’absence de carnets de commandes. Mais à la FFB Picardie nous incitons les collectivités locales à continuer à investir malgré la baisse des dotations, pour relancer le marché, au risque d’un impact négatif sur l’emploi, et l’économie en général. » Même constat du côté du secrétaire général de la Capeb Picardie, Carlos Martins : « Il devient difficile pour les jeunes de trouver un maître d’apprentissage pour intégrer les métiers du bâtiment, alors que l’apprentissage est à privilégier en terme d’insertion durable dans l’emploi, 59% des jeunes sont embauchés en CDI à l’issue de leur formation. » Lui impute en partie la baisse des contrats d’apprentissage aux nombreuses liquidations d’entreprises et au manque de visibilité des entreprises, avec des carnets de commandes à 67 jours. Conséquence de ce manque de travail, beaucoup d’entreprises du bâtiment (la Picardie en compte au total 10 371) deviennent sous-traitantes pour d’autres. Pas évident dans ces conditions de décider de prendre un apprenti pour deux ans, d’autant que se payer les services occasionnels d’un travailleur détaché par une entreprise étrangère est moins onéreux et que le code du travail n’est pas des plus souples en matière de réglementation en ce qui concerne l’embauche de mineurs. « Beaucoup d’entreprises se détournent de l’apprentissage à cause de ces dérogations obligatoires inscrites dans la législation, estime Carlos Martins. Les mineurs n’ont par exemple pas le droit de monter sur un escabeau. »

« La taxe sur l’apprentissage et celle sur les travailleurs handicapés ne pèsent pas sur les travailleurs détachés, c’est loin d’être un cercle vertueux, soupire de son côté le président de la FFB Picardie. Et le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ne compense pas tout, à masse salariale constante, les charges augmentent. »

Inciter les entreprises

Les Fédérations patronales du bâtiment incitent évidemment les entreprises à privilégier l’apprentissage, voie royale pour se forger une expérience. « On assiste à une hausse des contrats d’apprentissage de niveaux supérieurs, 3 et au-delà, explique François Delhaye. Ce qui tire l’apprentissage vers le haut, avec de meilleures qualifications. » François Delhaye parle en connaissance de cause, il compte dans ses effectifs une bonne vingtaine d’apprentis, dont deux élèves ingénieurs, en BTS, en bac pro, et dans les ressources humaines : « Mon directeur financier et administratif est un ancien alternant. Cela fait partie de notre culture d’entreprise ». Si pour lui l’apprentissage représente une « mesure d’insertion sociale », et qu’il invite les entreprises ayant du travail à y recourir, il ne se dit pas très optimiste, sans compter que certaines activités d’avenir comme la rénovation énergétique ont du mal à décoller. Son espoir : « Que l’activité redevienne plus pléthorique, et que les prix repartent légèrement à la hausse. » Deux conditions sine qua non pour que les contrats d’apprentissage repartent eux aussi à la hausse, « parce que le renouvellement des générations est nécessaire, de même que les besoins en compagnons ». La Capeb Picardie envoie elle depuis l’an passé des fiches à ses adhérents (près de 2 000 entreprises de moins de 20 salariés) pour les encourager à se tourner vers l’apprentissage et clarifier certains points qui demeuraient obscurs pour les artisans. Et mise sur les dispositifs comme Picardie Pass rénovation pour relancer l’économie du bâtiment et voir, enfin, poindre des jours meilleurs.

Le BTP CFA d’Amiens qui compte cette année 671 apprenants (moins que les années précédentes), œuvre lui aussi dans le même sens : « Entre autres actions, nous menons tous les ans des enquêtes de recrutement auprès des entreprises de la Somme pour définir leurs besoins. Côté candidats, nous n’avons pas de soucis, pour inciter les entreprises à les prendre, nous les aidons dans leurs recherches », explique Laurent Gilet, conseiller jeunes et entreprises. Avec un message à destination de ces dernières : « L’avenir, ce sont les jeunes, et une fois ce difficile contexte économique effacé, le besoin en main d’oeuvre se fera de nouveau sentir. »

Le BTP CFA de Laon tente de séduire les jeunes

Le BTP CFA de Laon compte 167 apprenants.

Le BTP CFA de Laon compte 167 apprenants.

Le BTP CFA de Laon accueille 167 jeunes, et pour son directeur Michel Bitchené, le souci n’est pas de trouver des apprenants, mais plutôt « de trouver une entreprise voulant les accueillir en contrat d’apprentissage  ». Comme ses homologues de l’Oise et de la Somme, le CFA lance chaque année une enquête auprès de 2 800 entreprises axonaises, pour définir leurs besoins et sonder leur intérêt en ce qui concerne l’embauche d’apprentis. «  Cette année, l’enquête a été lancée en mars et nous avons peu de retours », avoue le directeur. La faute à la mauvaise conjoncture qui perdure depuis 2010, «  avec des pertes d’emplois colossales, des fermetures…C’est particulièrement vrai pour l’Aisne », note Michel Bitchené. Le CFA continue de mener des opérations séduction auprès des jeunes et des entreprises, avec notamment un job-dating, qui aura cette année lieu le 15 juin. L’occasion pour la cinquantaine de jeunes présents ce jour-là et cherchant des contrats de rencontrer des entreprises (une vingtaine de prévu) recherchant elles des apprentis. « Nous demandons également à nos formateurs de rappeler régulièrement aux entreprises qu’ils peuvent avoir recours à l’apprentissage, nous avons à leur disposition une liste de jeunes demandeurs », explique le directeur, qui craint à terme un détachement de jeunes pour le bâtiment si la situation économique du secteur persiste.