L'agriculture face aux défis croisés du XXIe siècle

Peut-on garantir l'alimentation de la Nation, enjeu crucial dans un contexte géopolitique inquiétant, tout en modifiant notre modèle agricole intensif, insoutenable pour la planète ?

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« Nourrir la planète : faudra-t-il choisir entre souveraineté et durabilité ? » : c'était le thème du colloque organisée, à Paris, par le journal L'Opinion. Effets tangibles du réchauffement climatique, retombées néfastes du modèle d'agriculture intensif sur la planète, conséquences des conflits géopolitiques sur les approvisionnements en nourriture, dramatiquement illustrées par le chantage au blé – et à la famine- exercé par la Russie dans le cadre de la guerre avec l'Ukraine...Ces phénomènes majeurs qui s'imposent conjointement rendent indispensable d'assurer la souveraineté agricole du pays ainsi qu' un changement radical du modèle de production agricole actuel.

Mais ces deux impératifs sont-ils compatibles ? Oui, selon l'un des intervenants du colloque, Thierry Blandinières, directeur général d'InVivo. Ce groupe international spécialisé dans les activités agricoles (12 milliards d'euros de chiffre d'affaires) s'est donné comme raison d'être : «Favoriser la transition agricole et alimentaire vers un agrosystème résilient ». « Nous avons des solutions. Mais l'enjeu actuel réside dans le changement d'échelle, qui n'a rien d'évident. Il va être nécessaire de financer cette transition », explique Thierry Blandinières. Parmi ses activités, par exemple, InVivo noue des contrats de plusieurs années avec des fermes pilotes, afin qu'elles modifient leurs modes de production pour aller vers un système de rotation des terres qui améliore la qualité des sols. Ce changement implique aussi nécessairement une évolution du modèle économique. Lequel pourrait notamment passer par des revenus nouveaux pour les agriculteurs (valorisation du carbone capté dans le sol grâce à leur activité... ).

Engrais verts et « géopolitique positive »

Autre dimension nécessaire à prendre en compte pour répondre aux enjeux de souveraineté et de durabilité, « nous devons également penser aux engrais. Sur ce sujet, nous sommes dépendants à 100% des importations . Cela représente un vrai défi, mais aussi , peut-être, une opportunité industrielle », ajoute Thierry Blandinières. Production d'engrais verts, déploiement des technologiques permettant une agriculture de précision qui limite l'utilisation d' intrants... Pour le directeur général d'InVivo, les pistes sont nombreuses, mais le développement d'un écosystème de start-up passe par une véritable politique publique.

L'identification du sujet « « Investir dans une alimentation saine, durable et traçable » comme l'une des dix priorités stratégiques du plan national France 2030 semble aller en ce sens. Pour Sébastien Abis, directeur du Club Demeter et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), cette prise de conscience du politique était nécessaire. « Nous partions de très loin. J'espère que cette priorité va être conservée durant toute la décennie », commente le chercheur. Mais s'il souligne la forte dimension géopolitique de l'enjeu de la souveraineté alimentaire, il invite à ne pas se focaliser sur la stratégie russe, délétère, et à prendre aussi en considération la possibilité d'une « géopolitique positive ». « Le danger consisterait à ne pas investir du tout dans l'agriculture en Europe. Mais la prochaine PAC (Politique agricole commune) devrait être pensée en lien avec une politique de voisinage, au lieu de se cantonner à l'Europe seule », juge Sébastien Abis. L'enjeu n'est pas uniquement de préférer une logique de l'échange à une logique citadelle. Du point de vue de l'agriculture, souligne le chercheur, « l'Europe a tout intérêt à échanger avec les pays du Sud, habitués à cultiver avec peu d'eau ».