Le gouvernement lance un plan pour sauver les métiers d'art

Attirer les jeunes, les former, développer les compétences en entrepreneuriat, développer des synergies au niveau local… Le gouvernement a présenté sa stratégie en faveur des métiers d’art qui se trouvent en difficulté.

Rima Abdul Malak, ministre de la Culture présentait son plan pour les métiers d'art.
Rima Abdul Malak, ministre de la Culture présentait son plan pour les métiers d'art.

Céramistes, doreurs, brodeurs, ébénistes... Ces métiers ne sont pas menacés par l’intelligence artificielle. Et pourtant, certains d’entre eux pourraient disparaître. Le 30 mai dernier, à Paris, Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des PME, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme et Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, ont présenté la nouvelle stratégie nationale en faveur des métiers d’art, en présence de nombreux acteurs du secteur. « Il ne s’agit pas uniquement de conserver ces savoir-faire, même si cet enjeu est très important. Il s’agit d’une stratégie de conquête pour projeter ces métiers dans l’avenir », a précisé Rima Abdul Malak. Jusqu’à présent, le sujet constituait un « angle mort » de la politique culturelle, a-t-elle admis.

Concrètement, on compte en France 281 métiers d’art (verre et cristal, céramique, spectacle, textile…) dont la liste est fixée par un arrêté de 2015. Quelque 60 000 entreprises et 150 000 professionnels sont concernés pour un chiffre d’affaires cumulé estimé à 19 milliards d’euros en 2019, dont 8 milliards à l’export.

Portée par les deux ministères, la stratégie adresse une pluralité d’enjeux : sensibilisation des jeunes, formation, entrepreneuriat, développement économique des entreprises existantes, conservation de l’excellence existante dans les savoir-faire, innovation, export...Mais au-delà de ces thèmes d’action spécifiques, la stratégie vise aussi à fédérer les acteurs des métiers d'art, afin qu'ils se structurent en filière. Objectif : d’ici 2025, conclure un contrat stratégique de filière qui permettra de déployer une politique économique et culturelle cohérente, en lien avec les acteurs privés. Au total, l’État promet 340 millions d’euros de mesures nouvelles pour les métiers d’art entre 2023 et 2025 (pour partie provenant du plan France 2030). Cette somme s’ajoute aux 100 millions annuels que le ministère de la Culture leur consacre déjà, à travers les Manufactures nationales et les grands établissements.

Où sont les jeunes ?

Parmi les enjeux essentiels visés par la stratégie figure celui des ressources humaines, et en particulier, le sujet des jeunes. En effet, dans le secteur, même les entreprises les plus prestigieuses, à l’image de LVMH, peinent à trouver de jeunes recrues. En cause, une tradition culturelle française bien ancrée qui valorise les métiers intellectuels au détriment de ceux dits « de la main ». De plus, les métiers d’art impliquent travail avec la matière et temps longs, ce qui ne ne cadre pas naturellement avec les dimensions d’immédiateté et de numérique, familières aux nouvelles générations. « Il est nécessaire de réparer l’image de ces métiers auprès des plus jeunes, mais aussi de leurs parents », analyse Luc Lesénécal, président de l’Institut national des métiers d’art. « Nous souhaitons sensibiliser les nouvelles générations », précise Rima Abdul Malak. Parmi les outils prévus par le gouvernement figurent l'ouverture de 1 000 places de stages des élèves de 3ème auprès d'artisans d'art, la création de 730 nouvelles activités métiers d'art pour les 15-19 ans, via le Pass culture, ainsi que le développement d'ateliers découverte pour 35 000 jeunes, via un réseau d'associations.

Étape suivante, indispensable, la formation. « Les attentes du secteur sont fortes et légitimes », note Olivia Grégoire. Parmi les mesures prévues, un CFA, centre de formation d’apprentis, nouveau va être mis sur pied pour les métiers dits « orphelins ». Par ailleurs, la formation aux métiers d'art va bénéficier de la réforme des lycées professionnels, avec le versement d'une allocation de stage durant les périodes de formation en entreprise, pour un budget d'environ 20 millions d'euros par an.

Autre difficulté qu'entend affronter la stratégie gouvernementale : actuellement, « la question de l’entrepreneuriat constitue un angle mort dans la formation aux métiers d’art », estime Éloïse Leboucher, référente formation sur Campus métiers art et design de Paris. Pour l’articulation entre savoir-faire artisanal et compétences à entreprendre, l’accélérateur de Bpifrance « Savoir-faire d’exception » va accompagner des dirigeants d’entreprises des métiers d’art pour les aider à construire et piloter leur stratégie. Le dispositif, déjà en place, va se poursuivre en 2024 et 2025 pour un budget de trois millions d’euros (dans le cadre du Plan France 2030).

Métiers d’art, artisanat local

Autre axe majeur de la nouvelle stratégie, le renforcement de la dynamique territoriale propre aux métiers d’art. Porcelaine de Limoges ou cristal de Baccarat, ces métiers sont en effet le fruit d’une histoire étroitement liée à un lieu dont ils ont, à leur tour, contribué à nourrir l’identité et l’essor économique. Le gouvernement entend donc créer des pôles territoriaux Métiers d’Art. Dans le cadre de France 2030, un dispositif est prévu pour soutenir l’émergence d’initiatives mutualisées qui visent à structurer un écosystème local (partage de ressources et de matériaux, ateliers collaboratifs, « makerspaces »…). Il concerne aussi les métiers d’art et le premier appel à projet a reçu 80 projets en ce sens.

Autre dispositif prévu, une aide à la reprise d’atelier. Désormais, les artisans d’art pourront bénéficier d'une allocation d'installation d'atelier (AIA) ou d’achat de matériel attribuée par le ministère de la Culture. Jusqu’à présent, cette aide était réservée aux artistes du champ des arts visuels. Un autre dispositif encore vise à développer des manufactures de proximité, afin de relocaliser des activités de production. Une cinquantaine de manufactures consacrées aux métiers d’art ont déjà été créées et une nouvelle vague de 10 nouvelles « Manufactures de proximité » sera lancée en 2024.

Certains n’ont pas attendu : en Moselle, à Meisenthal (800 habitants), le centre international d'art verrier (CIAV) compte environ 40 salariés et 75 000 visiteurs, clients, spectateurs, chaque année. Cette verrerie, née en 1704, avait employé des centaines de salariés avant de fermer ses portes, pour rouvrir ensuite, en 2001. A l’origine de ce projet, Yann Grienenberger, l’actuel directeur de l’établissement, reconnu pour sa contribution à la sauvegarde et à la transmission des métiers d'art français. Dans son centre en Moselle, il conjugue savoir-faire traditionnel et création contemporaine. « Loin du folklore, il s’agit de mettre en tourisme un projet artistique et culturel exigeant », témoigne-t-il, lors de la présentation de la stratégie gouvernementale.