Le mécénat collectif s'enracine dans les territoires

De plus en plus de chefs de petites et moyennes entreprises se coalisent pour mener des actions de mécénat sur leur territoire. Une démarche potentiellement efficace. Témoignages, lors du récent Forum Admical 

(c)Adobestock
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Durant le premier confinement, le Fonds local d’urgence Covid-19, mis sur pied par Bordeaux Mécènes Solidaires, fondation territoriale, a permis d’aider 7 000 personnes en difficulté. « Nous avons vu un formidable élan de générosité des entreprises, de leurs dirigeants et aussi des salariés », a témoigné Stéphanie Ioan, déléguée générale de la fondation. C’était lors de la table ronde sur “Le mécénat collectif : un levier d’avenir au service des territoires”, tenue le 25 novembre dernier, dans le cadre du Forum Admical, association qui réunit quelque 200 entreprises mécènes. 

Mécèn’Ardèche, Fondation Passions Alsace, Mécène et Loire… Derrière ces intitulés, des chefs d’entreprise, souvent petites et moyennes, se coalisent pour réaliser des actions de mécénat. « Les initiatives sont nombreuses. Depuis une dizaine d’années, elles émergent dans les territoires », constate  Marion Baudin, responsable promotion du mécénat et développement régional d’Admical. Et, à en suivre les témoignages des intervenants, le mariage du local et du collectif est un gage d’efficacité, à plusieurs niveaux, y compris celui des  mécènes ! Par exemple, depuis huit ans, Bordeaux Mécènes Solidaires regroupe surtout des petites entreprises. Pour Stéphanie  Ioan, « elles ont du mal à se reconnaître dans le mécénat qu’elles voient comme très loin, très grand… L’échelle locale leur convient très bien ». La structure joue le rôle de « tiers de confiance » auprès entrepreneurs manquant de temps et d’expertise dans ce domaine, et qui peuvent ainsi s’engager sans crainte dans des projets. 

Très concrètement, le mécénat collectif comporte un grand nombre d’avantages, analyse pour sa part  Denis Metzger, président de Break Poverty Foundation, spécialisée dans la lutte contre la pauvreté des jeunes. « Cela nous permet de collecter plus d’argent », juge-t-il. De plus, à plusieurs niveaux, l’efficacité de la démarche se trouve augmentée : « les choix sont plus raisonnés » et, donc, « les solutions plus efficaces », ajoute Denis Metzger. Et aussi, « l’alliance territoriale amplifie la visibilité d’une action. Il y a un effet caisse de résonance. Dix entreprises qui s’unissent sur le sujet du décrochage scolaire, c’est un événement ».

La délicate alliance avec le secteur public

La réussite d’une démarche de mécénat collectif repose sur de nombreux facteurs, dont la gouvernance de la structure. « Il faut des moyens » financiers et humains (internes et externes) pour animer une structure de mécénat, prévient Stéphanie Ioan. En la matière, à Marseille, par exemple, la Fondation de Marseille, qui a vu le jour durant la crise, a fait un choix bien précis. Les quatre entrepreneurs qui l’ont créée ont « investi un montant, sur cinq ans, pour le fonctionnement de la fondation. Les dons reçus seront donc 100% fléchés sur les projets », relate Cathy Racon-Bouzon, députée des Bouches-du-Rhône. La question de la gouvernance, et, plus largement, de la gestion de projets de mécénat, pose aussi celle du rapport aux acteurs politiques et du secteur public. À ce sujet, la gouvernance de Bordeaux Mécènes Solidaires a considérablement évolué. Par exemple, sa présidence, initialement confiée au maire de la ville, est maintenant assurée par un entrepreneur. Pour Stéphanie Ioan, cette réforme a permis de rassurer les chefs d’entreprise sur le fait que la fondation n’était pas « un lieu où le politique viendrait chercher l’argent privé pour faire plus que ce qu’il fait  avec l’impôt ». D’après  elle, la situation aujourd’hui clarifiée permet un travail en bonne intelligence entre les différents acteurs, le secteur public apportant aussi de nombreuses solutions utiles. 

En matière de gestion de projet de mécénat, tout dépend de qui en est l’initiateur, pointe Denis Metzger. « S’il s’agit d’une fondation territoriale présidée par le maire, par exemple, c’est moins simple », estime-t-il. Pour autant, l’apport des pouvoirs publics est indispensable. Exemple avec le projet de la Break Poverty Foundation, Digitale Academie”, à Romans-sur-Isère, destiné à permettre aux jeunes défavorisés d’entreprendre des études. 700 000 euros ont été collectés auprès de fonds privés, et 400 000, de collectivités ( département, mairie, région). Plus encore, en France, le rôle du secteur public est tel, dans les domaines  sociaux, culturel et de la santé, qu’il est « normal de s’y intégrer », note Denis Metzger. 

L’échelle locale démultipliée au niveau national

Les projets basés sur une dynamique locale peuvent aussi se diffuser dans le pays entier. C’est ce que montre une démarche initiée par Break Poverty Foundation, en 2018, et intégrée dans le Plan Pauvreté, lancé par Emmanuel Macron. But de l’opération : prévenir la pauvreté chez les jeunes. Le projet a d’abord été testé dans trois villes pilotes, à Nantes, Romans-sur-Isère et Béthune. Plus d’un million d’euros ont été levés pour financer une vingtaine de projets. Les entreprises sont mobilisées via la DAT (Dotation d’action territoriale). Il s’agit d’une allocation volontaire de l’entreprise, allant jusqu’à 2% de son résultat net, et affectée par elle-même à des projets de lutte contre la pauvreté des jeunes sur son territoire. Cette dotation bénéficie des avantages fiscaux prévus par la loi Aillagon, ce qui porte le coût de cet engagement pour l’entreprise à 0,8% de son résultat net. 

Aujourd’hui, la Fondation accompagne donc les acteurs du territoire, (collectivités, fondations territoriales et aussi les réseaux patronaux), dans la mise en œuvre du plan. Pour ce, elle a mis au point une méthodologie, « diagnostic, sélection des projets, levées de fonds auprès des entreprises, suivi d’impact », énumère Denis Metzger. Une plate-forme nationale a été mise sur pied, qui met à disposition les outils nécessaires aux participants. La Fondation a également recruté trois délégués régionaux, lesquels se sont vus, notamment, confier la mission de recruter 50 référents locaux, ensuite formés. « Nous pensons que cette politique du push est formidable, mais nous ne pourrons pas aller dans 35 000 communes. Il faudrait faire appel aux entreprises pour qu’elle fassent du mécénat social sur le territoire », plaide Denis Metzger, qui milite pour une fiscalité encore plus encourageante. Objectif : toucher 100 000 jeunes sur 50 territoires, d’ici 2022.