Le Medef se prépare à une rentrée compliquée

Pour la rentrée, lors du rassemblement organisé par le Medef, la REF, Patrick Martin, son nouveau président, a marqué ses différents désaccords avec le gouvernement. L'événement intitulé « Demain ne meurt jamais » s'est déroulé dans un contexte d'inquiétude croissante des entrepreneurs.

(© Anne DAUBREE)
(© Anne DAUBREE)

« J'ai besoin de vous » ; « Nous savons faire »...Ce 28 août, l'échange s'est déroulé en différé dans le temps et dans l'espace. Emmanuel Macron, président de la République est apparu en vidéo sur un écran et Patrick Martin, président du Medef, a ensuite pris la parole depuis l'estrade placée devant l'immense piste vide de chevaux de l'hippodrome de Longchamp. Celui-ci est depuis plusieurs années le théâtre de la REF, Rencontre des Entrepreneurs de France du Medef, où se pressent entrepreneurs, décideurs publics- dont plusieurs ministres- et journalistes. Cette année, c'était à un président du Medef tout juste élu et qui prend ses marques qu'il revenait de faire entendre « la voix forte des entrepreneurs de France », selon ses propres termes. Et ce, au moment où Bruno le Maire, ministre de l'Economie, venait d'annoncer une mesure concernant la CVAE, Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, décriée par les syndicats patronaux, Medef et CPME en particulier.

À Longchamp, au delà d'un dialogue affiché avec le président de la République, Patrick Martin a donc pris le parti d' exprimer très clairement son mécontentement. « Un nouvel étalement de la suppression de la CVAE serait un très mauvais signal. (…) Cette suppression annoncée pour 2024 a été intégrée dans nos business plans, en termes de décisions d'investissements et d'embauches », a-t-il déclaré. Concrètement, il y a deux ans, la suppression définitive de cet impôt avait été décidée pour 2024. Mais Bruno le Maire a récemment annoncé une modification de calendrier, la baisse étant étalée sur quatre ans, soit un milliard d'euros par an jusqu'en 2027. Présente à Longchamp, la Première ministre, Élisabeth Borne, a confirmé le ralentissement du rythme de la suppression de la CVAE. L'impôt sera supprimé « avant la fin du quinquennat. On le fera au rythme le plus rapide possible, en tenant compte d'un autre objectif, le redressement des comptes publics(…). Aujourd'hui, tout le monde le sait : le contexte macroéconomique est plus incertain que ce à quoi on pouvait s'attendre, il faut en tenir compte. L’État prend sa part, avec une baisse de 3% des dépenses en volume, pour tenir la trajectoire des finances publiques. Nous demandons à chacun d'entendre la nécessité de participer à cet effort », a-t-elle argumenté. La formulation choisie par Élisabeth Borne laisse entendre que le rythme de ralentissement pourrait être accéléré par rapport au milliard d'euros annuel, initialement prévu.

Entre « pro-business », on ne s'entend pas toujours

Le Medef redoute-t-il d'autres reculades du gouvernement, soumis à de très fortes contraintes budgétaires ? Patrick Martin a été particulièrement applaudi lorsqu'il a précisé que « ce n'est pas le moment d'exposer les entreprises à des revirements ». Le message est clair : « nous savons faire » pour répondre aux multiples défis tels que les investissements nécessaires en matière de décarbonation, mais à condition que la politique de l'offre soit maintenue. Côté pouvoirs publics, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne ont insisté sur la fermeté de leur position « pro-business ». Il est de fait que depuis 2017, le taux de l'impôt sur les bénéfices a été ramené de 33,3% à 25% et la CVAE a déjà été abaissée, par exemple. Emmanuel Macron a souligné cette baisse « historique ». « Il n'y aura pas de hausse d'impôts», a promis de son côté Élisabeth Borne.

Parmi les autres sujets qui fâchent, Patrick Martin a affirmé son « désaccord » sur le projet gouvernemental d'utilisation des excédents de l'Unedic, l'association paritaire qui gère le régime d'assurance-chômage. Environ 12 milliards d'euros pourraient être ponctionnés d'ici à 2026, d'après le document de cadrage dévoilé en juillet par Matignon, pour la négociation de la prochaine convention d'assurance-chômage. Ces sommes sont destinées à financer France Travail, le nouveau service public de l'aide à l'emploi. Pour le Medef (ainsi que pour les syndicats qui cogèrent l'Unedic), les excédents devraient être employés à réduire la dette de l'Unedic qui a atteint 60,7 milliards en 2022. Mais comme pour la CVAE, Élisabeth Borne a confirmé la position du gouvernement. « En ce moment précis, diriger ces excédents vers ceux qui sont le plus éloignés de l'emploi, contribuer à l'effort réalisé par la Nation pour ces personnes constitue un bon investissement pour l'Unedic.( …). C'est autant de dépenses en moins pour l'assurance-chômage de demain. Et cela contribue aussi à répondre aux difficultés de recrutement des entreprises », a argumenté la Première ministre.

Optimisme relatif partagé

Élisabeth Borne est toutefois venue porteuse d'une nouvelle agréable à entendre pour les patrons : l'hypothèse d'une prise en charge partielle des arrêts de travail par les entreprises - et non par l'Assurance Maladie - a été écartée. Cette solution avait été évoquée au début de l'été, lorsqu'il avait été constaté que le coût de ces indemnités avait progressé de 8 % entre 2021 et 2022 pour dépasser les 15 milliards d'euros (hors Covid). « Il n'y aura pas de décision unilatérale », a affirmé la Première ministre à Longchamp. Elle a également promis un chantier de simplification (administrative) proposant de « recenser les principaux irritants » avec les patrons et l'administration, dès 2024. Quelques applaudissements polis ont salué cette promesse peut-être trop souvent entendue.

Interrogée sur la situation internationale, Élisabeth Borne a répondu qu'il était nécessaire de rester « vigilants », mais aussi qu'elle voyait « de bonnes raisons de rester optimistes ». Sur le choix de cette attitude, pouvoirs publics et Medef se rejoignent, le syndicat patronal ayant choisi d'intituler sa REF « Demain ne meurt jamais ». Pourtant le climat et le contexte économique sont de plus en plus incertains ; les indices se multiplient qui vont dans le sens d'un ralentissement de l'activité. Ces douze derniers mois, 49 863 entreprises se sont retrouvées en défaut de paiement, soit une hausse de 42,5% sur un an, d'après la Banque de France. Le niveau d'avant Covid se rapproche. Les données de l'Insee sont également préoccupantes : au deuxième trimestre 2023, les chiffres de créations d'emploi ont nettement ralenti, après deux ans de croissance. Et en août, le climat des affaires est descendu à 99, sous sa moyenne de longue période, en raison d'une détérioration de la situation conjoncturelle dans l'industrie manufacturière et les services. Ce même mois, 26% seulement des chefs d'entreprises se déclarent confiants dans l'économie française, en baisse de 3 points depuis juin, révèle le sondage Opinion Way pour CCI France.