L’économie sociale et solidaire va-t-elle trouver sa place ?

Elle pèse 10 % des emplois et du PIB… c’est l’économie sociale et solidaire : sous cette appellation, des réalités très diverses peinent à se faire une place aux côtés de l’économie dite classique. Une loi est en préparation pour l’encourager. Trop timide ?

L’économie sociale et solidaire va-t-elle trouver sa place ?

Certains parlent d’innovation sociale, d’autres se réclament d’une tradition coopérative séculaire … le monde de l’économie sociale et solidaire, l’ESS, recouvre des réalités très diverses, des coopératives aux nouveaux “entrepreneurs sociaux”, en passant par les scop. L’Ajpme, l’association des journalistes spécialisés dans les PME a réuni plusieurs de ses représentants ainsi qu’un conseiller de Benoît Hamon, ministre chargé de l’Economie sociale et solidaire, le 20 novembre, à Paris. Parmi les « entrepreneurs sociaux », figure Acta Vista, une entreprise marseillaise de restauration de monuments historiques, qui accompagne vers l’emploi des personnes en difficulté professionnelle, en les formant aux métiers du bâtiment.

Interdépendance avec l’économie classique
« Les entrepreneurs sociaux sont des personnes qui décident de mettre leur capacité d’entreprendre pour contribuer à résoudre un problème de société, qu’il s’agisse de logement, de nutrition, de surendettement
», explique Thomas Sorrentino, directeur de la communication d’Ashoka, un réseau qui aide ces porteurs de projets en leur donnant des moyens. Ashoka accompagne 3 000 entrepreneurs dans 70 pays. Autre modèle : l’association pour la réinsertion économique et sociale (Ares), suit chaque année 400 personnes en difficulté, en leur fournissant un travail et un accompagnement global sur les questions de santé, de logement…. Thibault Guilluy, directeur d’Ares, constate par ailleurs que « la lutte contre l’exclusion ne peut pas s’envisager sans partenariat avec l’entreprise ». Concrètement, l’association a développé ses propres entreprises dans la logistique, le débarras écologique, le transport, le BTP…. « Le groupe vit d’abord de son chiffre d’affaires. (…) mais l’activité est seulement un moyen d’atteindre le but social », explique Thibault Guilluy. L’objectif final consiste donc à faire en sorte que les salariés, une fois les premières difficultés dépassées, trouvent ensuite un emploi dans une autre entreprise. Au final, l’association entretient donc deux types de relations avec les entreprises classiques. « Ce sont d’abord des clients, comme AXA, SFR ou l’Oréal », résume Thibault Guilluy qui souligne l’implication toujours majeure de certains grands groupes dans les problématiques d’insertion. L’Oréal, par exemple, a mis en place une politique d’achats qui prend en compte des critères de solidarité dans le choix des fournisseurs. Autre mode de relation entre l’Ares et les entreprises : « Nous avons un service d’outplacement qui démarche les entreprises pour comprendre leurs besoins, et leur proposer des salariés qui sont en fin de parcours d’insertion (un an environ) : cela constitue un vivier pour les entreprises », complète Thibault Guilluy.

Finances à part
Si l’ESS a des clients comme les autres, il lui faut chercher des sources de financement spécifiques : en 1983, a été créé l’Institut de développement de l’économie sociale (Ides), qui regroupe les acteurs majeurs du secteur, comme les grandes banques coopératives et les mutuelles, qui y investissent une partie de leurs réserves. L’Etat et la Caisse des dépôts contribuent également. « On a considéré que ce monde avait besoin de capitaux propres (…) On est resté très centré sur une économie sociale liée au statut coopératif. C’est une manière d’entreprendre, une répartition différente des résultats », explique Dominique de Margerie, directeur général de l’Ides. Par exemple, les réserves des coopératives ne sont pas restituées aux actionnaires, mais restent dans l’entreprise. Pas de quoi séduire le capital risque ! « L’idée est d’apporter les capitaux propres nécessaires, qu’ils ont des difficultés à trouver sur le marché, car les investisseurs ont du mal à venir sur ce type d’entreprises. Nous sommes des investisseurs de long terme, sur une durée toujours supérieure à sept ans. On est là pour une dizaine d’années, en moyenne », précise Dominique de Margerie. Ce financier utilise des outils particuliers. « On prend des titres participatifs, remboursables au grès de la structure, au bout de sept ans, avec un taux intérêt et un intéressement en fonction de la rentabilité de l’entreprise », illustre-t-il. Pour le gouvernement, le financement de l’ESS fait partie des enjeux importants. « Pour les projets qui limitent ou interdisent l’octroi de la plus-value, la Banque publique d’investissement et ses partenaires apportent de bons outils. (…) Il y une défaillance du marché à laquelle on répond par des adaptations », explique Thomas Boisson, conseiller de Benoît Hamon.

Une loi de reconnaissance
Une loi est en préparation, qui aura notamment pour fonction de reconnaître la spécificité de ce secteur. Pas évident, en effet, de faire entrer dans un même cadre des structures qui peuvent être abordées de deux manières très différentes : par leur gouvernance, ou bien par l’activité, l’objet qu’elles se donnent . « Pour la puissance publique, cela appelle des réponses très différentes », analyse Thomas Boisson. Parmi les objectifs de la loi figurent également l’évolution des statuts, un meilleur traitement des conditions de reprise de l’entreprise par ses salariés.
Quant à la commande publique, il s’agit de « donner un coup de pouce quand l’État achète ». Pour Thomas Boisson, l’ESS « n’est pas une économie de la réparation, c’est une économie qui tient son rôle dans l’économie marchande. (…) Dans le plan de compétitivité, deux mesures concernent l’économie sociale ».
Chez les acteurs du secteur, on est bien convaincu des effets bénéfiques de ce modèle. Ashoka, par exemple, revendique de très bons résultats pour ses poulains : au bout de cinq ans, la quasi-totalité des projets engagés sont toujours actifs. Mieux, plus de la moitié d’entre eux ont un impact plus large, par exemple en contribuant à faire évoluer le cadre légal. De plus, « notre étude, menée en 2010, montre que ces projets génèrent des économies pour les pouvoirs publics », explique Thomas Sorrentino, qui plaide en faveur d’une généralisation de ces démarches. L’entreprise Acta Vista par exemple, représente une économie publique de 2 millions d’euros environ par an. Si on élargissait à l’ensemble du secteur, cela représenterait entre 30 et 50 millions d’euros d’économies.
Pour Thibault Guilluy également, l’impact de son activité est très largement positif : pour un euro de subventions, 1,6 de cotisations ou d’impôts sont reversés à l’Etat. Et 1,10 euros d’économies directes sont réalisées (comme sur le RSA d’une personne recrutée, par exemple). Un ratio de 1 à 2,7. Qui dit mieux ?