Les artisans d'art comptent sur la commande publique

Les artisans qui exercent des métiers d'art très pointus n'accèdent pas directement à la commande publique. Pourtant, celle-ci est essentielle à la préservation de ces savoir-faire. Débat, sur le récent Salon international du patrimoine culturel, à Paris.

En face de l'animatrice, de gauche à droite, Jean-Pierre Lebureau, artisan d'art, Florence Babics architecte du patrimoine et Marc Bayard, responsable du développement culturel et scientifique au  Mobilier national.
En face de l'animatrice, de gauche à droite, Jean-Pierre Lebureau, artisan d'art, Florence Babics architecte du patrimoine et Marc Bayard, responsable du développement culturel et scientifique au Mobilier national.

Jean-Pierre Lebureau, artisan d'art, a réalisé un pendentif sous coupole de six mètres de haut (en métal) pour le Grand Palais à Paris. Son métier ? Ornemaniste, un savoir-faire devenu rare. Dans la nomenclature d'activités française, le métier est classé dans la catégorie « fabriquant d'autres articles métalliques », révèle Jean-Pierre Lebureau, reconnu Meilleur ouvrier de France. Le 2 novembre, il participait à un débat consacré à « La commande publique au service des métiers d’art : un enjeu essentiel de transmission ». L'événement organisé notamment par le magazine Atrium Patrimoine et Restauration, s'est tenu dans le cadre du Salon international du patrimoine culturel, à Paris.

Et le débat s'est principalement focalisé sur les métiers de niche, qui, selon l'avis unanime des intervenants, accèdent difficilement à la commande publique, tant les deux univers ont du mal à se rejoindre. « Je ne réponds pas aux commandes publiques car mon métier, qui est un métier de niche, n'est pas facile à identifier. En outre, répondre à un appel d'offres est beaucoup trop complexe pour les capacités administratives d'une petite structure comme la mienne », témoigne Jean-Pierre Lebureau, également président de la commission des métiers d’art à la CMA Île-de-France. Pour lui, la structuration même des appels d'offres publics constitue une barrière infranchissable.

À ce titre, «la réforme de la nomenclature constitue l'un de nos combats », souligne-t-il. Autre difficulté, « la manière dont sont réalisés les allotissements pose problème. Le plus souvent, notre lot est noyé dans un lot beaucoup plus conséquent sur lequel nous ne pouvons pas répondre, tant il déborde de nos compétences qui sont très pointues », ajoute-t-il. En fait, l'artisan d'art travaille quasiment systématiquement en sous-traitance. Il met d'ailleurs en garde contre une dérive, celle de «structures qui vont répondre à ces appels d'offres et cherchent ensuite des sous-traitants à bas coût ».

Vitraillistes et plumassiers : espèces rares

Comme architecte du patrimoine, spécialisée dans la préservation ou la restauration de celui-ci-, Florence Babics est bien consciente de cette problématique : sur ses chantiers travaillent doreurs, bronziers, serruriers d'art...Avant même la complexité des dossiers administratifs, « il est difficile pour eux d'accéder à l'information », souligne Florence Babics, relatant que certains professionnels regrettent la fin de la publication des marchés publics dont les montants sont inférieurs à un certain seuil au BOAMP, Bulletin officiel des annonces de marchés publics. Cela oblige les artisans à rechercher ces annonces auprès de plusieurs sources, une démarche chronophage.

Globalement, l'« adéquation » se fait difficilement entre un Code des marchés publics conçu pour gérer des volumes et des besoins et les métiers du patrimoine qui relèvent plutôt du sur-mesure, analyse Marc Bayard, responsable du développement culturel et scientifique au Mobilier national, lequel fait constamment appel à des artisans d'art. Pour Marc Bayard, l'enjeu de cette « adéquation » est de taille, en particulier pour les métiers dits « rares » et dont la disparition est redoutée. Exemples : le fontainier d'art, l'étameur (qui dispose de l'étain sur des ustensiles en cuivre), le vitrailliste, qui restaure d'anciens vitraux et en crée de nouveaux. « Aujourd'hui, nous assistons à un retournement de situation ! Ces métiers ne sont pas perdus, ils ne demandent qu'à redevenir à la mode », s'enthousiasme Marc Bayard. Exemple : le regain d'intérêt pour le métier de plumassier qui sélectionne les plus jolies plumes d'oiseaux pour en faire un accessoire de mode. Le responsable du développement culturel et scientifique au Mobilier national a en projet de développer un centre de formation à certains métiers. « L'acteur public a un rôle à jouer pour aider ces métiers en redonnant l'envie et la possibilité de redévelopper ces métiers. C'est en reproposant de l'offre que la demande va revenir», estime-t-il. Et Jean-Pierre Lebureau d'ajouter « Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes nombreux à être peu nombreux. L'ensemble de ces métiers rares est aussi une force économique. Des évolutions sur l'accès à la commande publique nous permettraient d'embaucher ».