Savoir-faire

Les chaises en rotin de la Maison Drucker : plus de 130 ans d’histoire dans l'Oise

Un café en lisant son journal à la terrasse du Flore, un des cafés emblématiques du chic parisien… Cette image de carte postale doit une partie de son charme aux incontournables sièges en rotin. Nombre d’entre eux sont fabriqués dans les ateliers de la Maison Drucker, installée à Gilocourt depuis 1920.

L'éternelle chaise de bistrot en rotin a encore de beaux jours devant elle. (c)Aletheia Press / L. Brémont
L'éternelle chaise de bistrot en rotin a encore de beaux jours devant elle. (c)Aletheia Press / L. Brémont

Dans l’atelier de la Maison Drucker, lové au cœur du village de Gilocourt, les tisseuses s’activent. Sous leurs mains expertes, les lanières colorées s’entrelacent. Les motifs, véritables œuvres d’art, se dessinent sur les assises des célèbres chaises en rotin, emblématiques des terrasses des bars parisiens comme Le Flore.

Parmi les ornementations indémodables, les jacquards dont certains sont au catalogue depuis une centaine d’années. « Le temps varie de un à huit selon les modèles [ndlr, un facteur établi selon la complexité du modèle à réaliser], il faut compter au minimum trois heures pour le tissage d’une chaise, qui est l’étape la plus longue », explique Bruno Dubois, gérant de l’entreprise.

Un savoir-faire qui demande de nombreuses années d’apprentissage au sein de l’entreprise. « On estime qu’une tisseuse devient performante au bout de trois ou quatre ans, illustre le dirigeant. Elle a une bonne base de métier au bout de cinq ans et elle a fait le tour du métier au bout de 15 ans. » Rare concession à la modernité : les polyamides ont remplacé le cannage des assises. La matière, plus facile à teindre et à utiliser, est aussi plus souple et plus résistante.

Des débuts parisiens en 1885

Avant le tissage, le rotin est préparé, puis passé dans une étuve pour être courbé, cintré sur des gabarits. Il est ensuite maintenu en place grâce à un bridage, jusqu’au moment de l’assemblage. « Pour un monteur, il faut compter trois à quatre ans de formation. Il a beaucoup de subtilités à connaître, il y a un tour de main, un coup d‘œil à acquérir. » Une fois les finitions réalisées, vient la phase de vernissage. « Les techniques restent les mêmes qu’au XIXe siècle », note Bruno Dubois. Ce sont ainsi cinq à 20 heures de travail qui sont nécessaires selon le modèle de chaise. Une qualité de travail qui fait la réputation de la Maison Drucker, qui incarne aujourd’hui l’esprit parisien chic et s’appuie sur une longue histoire.

Cinq à 15 heures de travail sont nécessaires selon les modèles de chaises (ici le vernissage). (c)Aletheia Press/ L. Brémont

Lorsque le fondateur, Louis Drucker, se lance en 1885 à Paris, la concurrence est rude. Mais l’entreprise se démarque au fil des années, « Louis Drucker était un fou de création », souligne Bruno Dubois. « La capitale devient trop encombrée » pour le fondateur, qui décide de déménager, en 1920, dans l’Oise, un département qu’il connaît et apprécie.

La production continue à être vendue dans la capitale, principalement à La Samaritaine, et Louis Drucker travaille avec les grands créateurs de l’époque. « Il fabriquait alors de nombreux meubles d’intérieur en rotin : des tables, des lits, des lustres, des commandes… », poursuit Bruno Dubois. La fabrication est peu coûteuse, dans un esprit colonial très plébiscité.

Le tissage est l’étape la plus longue. (c)Aletheia Press/ L. Brémont

Entreprise du patrimoine vivant

Dans les années 1980, la famille Drucker revend l’entreprise, qui connaît ensuite une période difficile. Bruno Dubois acquiert la Maison en 2006. « Nous avons voulu lui redonner tout son lustre ancien et renouer avec une des grandes richesses de Paris, ses très nombreux créateurs et bureaux de création. »

Le pari est gagné, le catalogue compte une centaine de références, de nombreuses nouveautés côtoyant des modèles anciens. Deux tiers de la production est exportée dans une cinquantaine de pays, notamment en Angleterre et aux États-Unis.

Modèles Fouquet's, Haussmann, Parnasse… Le produit emblématique reste la chaise de bistrot. Le rotin offre toujours un atout incomparable : léger, facilement transportable, esthétique. « Nous touchons des pays de toute taille, où on rêve d’avoir des cafés comme à Paris. Nous avons vendu des terrasses entières à des entreprises situées dans des villes comme Erevan [ndlr, en Arménie], Bakou [ndlr, en Azerbaïdjan]… Beaucoup de particuliers viennent également vers nous. Internet nous a particulièrement aidés. »

Le catalogue compte une centaine de références et incorpore de nombreuses créations. (c)Aletheia Press/ L. Brémont

Un succès qui ne s’appuie pas, par choix, sur un réseau de distribution. « Nous sommes présents lors des salons internationaux et au travers d'Internet », complète Bruno Dubois. Aujourd’hui, la Maison Drucker, labellisée Entreprise du patrimoine vivant, emploie une quarantaine de personnes et prépare une nouvelle étape. Elle déménage dans des locaux neufs à Venette, au deuxième trimestre 2022. L’occasion de rouvrir ses portes aux visiteurs, ce qu’elle n’a pu faire dernièrement, et de partager son savoir-faire unique.