Les jeunes entrepreneurs face à la crise

Les jeunes entrepreneurs subissent la crise mais pour l’essentiel, ils ne renoncent pas à leurs projets, d’après Initiative France, réseau d’accompagnement, qui présentait une étude et des témoignages.

« L’envie d’entreprendre prend le dessus sur les difficultés du moment », contaste Guillaume Pepy.
« L’envie d’entreprendre prend le dessus sur les difficultés du moment », contaste Guillaume Pepy.

Comment les plus jeunes entreprises subissent-elles la crise ? À Paris, début février, Initiative France, association spécialisée dans l’accompagnement et le financement de projets d’entreprises, présentait les résultats de sa dernière enquête menée fin 2022, auprès des entrepreneurs qu’elle accompagne. L’an dernier, ce réseau bénévole a soutenu 20 265 projets, soit 7% de plus qu’en 2021. Cela représente 56 095 emplois créés ou maintenus.

Pour Guillaume Pepy, président d’Initiative France, en dépit du contexte, le bilan de l’année n’est pas si noir : « l’envie d’entreprendre prend le dessus sur les difficultés du moment », estime -t-il. Ces difficultés sont importantes, et les entrepreneurs, considérablement touchés : ils évaluent à 5,9 sur 10 l’impact de la conjoncture sur leur activité, d’après l’étude. Par ailleurs 31% d’entre eux ont vu la situation de leur trésorerie se dégrader. Autre constat, parmi les impacts de la crise, le plus ressenti par les sondés n’est pas l’explosion des prix de l’énergie mais celle du coût des matières premières, citée par 58% des répondants. La hausse des prix de l’énergie vient en deuxième (45% ). Parmi les autres problèmes rencontrés figurent aussi les ruptures d’approvisionnement (26%) et les difficultés de recrutement (21%).

Des trois fondatrices d’entreprises venues témoigner devant la presse, pour l’instant, aucune n’a encore répercuté les hausses de prix subies sur leurs clients. Toutes en subissent des conséquences. C’est le cas de Feti Dündar qui a ouvert avec son mari, Arzu, la boulangerie des Chantaloups à Romainville, un quartier prioritaire de la ville (Seine-Saint-Denis). L’entreprise n’a pas pu atteindre le seuil de rentabilité escompté. « Le beurre a augmenté en passant de 7 à 10 euros le kilo. Nous n’avons pas répercuté cette augmentation sur la viennoiserie. Nous avons ouvert il y a un an et nous avons besoin d’attirer la clientèle. 5 centimes d’augmentation sur ce type de produit, cela ferait beaucoup pour ce quartier », explique Feti Dündar. Le couple a circonscrit l’augmentation de ses prix à certains produits dont la baguette, passée à 1,10 euros.

Audrey Bouyer, fondatrice de Wounded Women (dans les Yvelines) a créé et commercialise une lingerie de soin réalisée avec des matériaux spécifiques, destinée à des femmes qui souffrent de cicatrices du ventre résultant de césariennes ou d’opérations de chirurgie abdominale. Elle aussi est confrontée à des augmentations de prix et estime que la crise pourrait « tuer le commerce ». La jeune femme qui a démarré la commercialisation cet été n’a pas augmenté ses tarifs, déjà premium.

Avec la crise, Cerise Steiner, fondatrice de Fabricoleuses, collectif d’artisanes de la rénovation à Marseille, est passée de quatre à deux salariés. Elle aussi a subi fortement la crise et les augmentations de prix. « L’impact sur la trésorerie est fort et les banquiers n’aiment pas cela du tout », pointe-t-elle.

Enthousiastes, par obligation et par passion

Les entrepreneurs soutenus par Initiative France abordent l’année 2023 de manière très disparate. Ils sont très partagés quant à la vision de leur activité à venir : 23% d’entre eux estiment qu’elle sera meilleure qu’en 2022, 39 % stable, 38 % misent sur une dégradation, légère ou forte. Toutefois, globalement, ils sont nombreux à conserver un état d’esprit positif (61%). Seuls 11% ont un état d’esprit négatif, 2% « mixte » . Cette mentalité est particulièrement marquée chez ceux qui se sont lancés il y a moins de trois ans ( 67%) beaucoup moins chez ceux qui ont passé ce cap (51%). « C’est très difficile, mais nous savions que nous allions être obligés de passer par là. Nous avons encore tout notre enthousiasme », explique Feti Dündar. La boulangerie est le fruit de la reconversion de son mari, après 17 ans dans la métallurgie, pour des raisons de santé. L’occasion aussi de réaliser un désir de toute une vie... Mais au-delà des élans des débuts, si les entrepreneurs conservent le moral, c’est par nécessité : « on y croit à fond, on n’a pas le choix (…). Si on baisse les bras, on crève », témoigne Cerise Steiner.

(de d. à g.) Guillaume Pepy, président d’Initiative France et les entrepreneurs, Cerise Steiner, Audrey Bouyer, Arzu et Feti Dündar

Autres constats de l’étude, le choix de l’entrepreneuriat rend plutôt heureux ceux qui l’ont fait, par rapport à leur situation professionnelle antérieure (64% des cas). Par ailleurs, une proportion similaire d’entrepreneurs estiment (plutôt ou tout à fait) parvenir à conserver un bon équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Mais pour Cerise Steiner, cette question ne fait pas vraiment sens. «Tout est mélangé », estime la jeune femme, « je suis hyper heureuse, mais je n’ai plus de vie privée (...) Parfois, j’ai des idées la nuit, je me lève pour prendre des notes », témoigne-t-elle. À l’origine, elle travaillait comme directrice de production à Paris, exaspérée par un milieu qu’elle trouvait « hypocrite ». En se formant « sur le tas », elle est devenue artisan peintre et décoratrice. « Quel bonheur de faire un travail manuel. C’est une satisfaction immédiate », décrit Cerise Steiner. La jeune femme, qui a frôlé le surmenage et dit devoir jouer les « Shiva », a fini par mettre des limites : « à 20h c’est terminé, je ne réponds plus à personne ».

Audrey Bouyer aussi, a réalisé une reconversion heureuse, après dix ans passés dans l’industrie de la défense. Passionnée par la dimension internationale de son travail, elle était rebutée par le milieu « très macho » . Avec une césarienne qui s’est mal déroulée, elle a découvert le problème qui touche 150 000 femmes en France, et décidé de créer une entreprise. « Je suis épuisée car je travaille beaucoup. Mais j’ai une vraie mission qui a du sens. (…) Lorsque l’on a choisi, on subit moins les décisions », explique-t-elle.

Dans le même sens, le couple de boulangers trouve un accomplissement dans le fait d’avoir donné à leur boutique une orientation qui leur tenait à cœur : « nous avons eu envie de développer une activité qui ait un sens social », explique Feti Dündar. Par exemple, la boulangerie embauche dans le quartier et distribue ses invendus auprès d’associations. Quant à Cerise Steiner, son activité se prolonge très largement dans un engagement très soutenu pour la promotion de l’égalité homme/ femme dans son secteur… D’après le sondage d’Initiative France, la rémunération constitue un véritable point noir de l’entrepreneuriat : 63% des sondés en sont insatisfaits, 70% des femmes.

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