Logement : la crise majeure de la rentrée ?

Les promoteurs immobiliers tirent la sonnette d'alerte : ils subissent une crise de l'offre et de la demande qui met en danger tout l'écosystème du logement en France, d'après leur Fédération (FPI). Qui en appelle à des mesures de politique publique sous forme d'« électrochoc ».

De gauche à droite, Pascal Boulanger, président de la FPI, Didier Bellier-Ganière, délégué général de la FPI . (© Anne DAUBREE)
De gauche à droite, Pascal Boulanger, président de la FPI, Didier Bellier-Ganière, délégué général de la FPI . (© Anne DAUBREE)

Les chiffres sont sans appel, qui signalent une forte baisse de l'activité. Le 14 septembre, à Paris, la FPI, Fédération des promoteurs immobiliers, dévoilait les résultats de la profession et du logement neuf sur le deuxième trimestre de 2023. « Nous sommes confrontés à une crise de l'offre et à une crise de la demande », résume Pascal Boulanger, président de la FPI. Au deuxième trimestre 2023, les ventes ont diminué de 30,2%, une décélération de la baisse du premier trimestre (-34,6%). Pire, la chute des mises en vente a brutalement accéléré : - 37,9% au deuxième trimestre , après -24,8% au premier.

Ces évolutions négatives contrastent avec celle positive de l'économie au niveau global, le PIB ayant cru de 0,5% au deuxième trimestre 2023. « L'économie française tient mieux le coup que celle allemande et lorsque l'on s'en tient à une approche macroéconomique, cela semble aller. En revanche, si l'on regarde dans le détail, un secteur souffre, le bâtiment », pointe Didier Bellier-Ganière, délégué général de la FPI.

Évolutions négatives généralisées

De fait, au niveau de l'activité de la promotion immobilière, c'est l'ensemble des paramètres qui présentent des évolutions négatives, dévoile la FPI. À commencer par celui des permis de construire accordés. « Les maires en délivrent de moins en moins », explique Didier Bellier-Ganière. Au total, 96 600 autorisations ont été délivrées d’avril à juin 2023, soit une baisse de 25,6% par rapport à la même période de l'année précédente.

La baisse est particulièrement forte pour les logements collectifs ( - 27,3%). Et cette diminution s'inscrit sur le temps long : la moyenne des autorisations mensuelles de logements collectifs accordées depuis les élections de mars 2020 est inférieure à celles délivrées entre 2014 et 2020 (17 500 contre 19 311). Résultante de cette évolution, une diminution très nette du nombre de logement neufs mis en vente : 20 570 au deuxième trimestre 2023 contre 33 840 à la même période de 2022 et 44 166 au deuxième trimestre 2017.

Une situation « catastrophique »

Côté demande, pour les réservations de logement, « la situation est tout aussi catastrophique », poursuit Didier Bellier-Ganière. Les chiffres du deuxième trimestre 2023 (24 301 ) sont mêmes inférieurs à ceux l'année 2020, en pleine épidémie de Covid (28 186). Et sur le long terme, ils restent très en dessous du niveau moyen atteint entre 2017 et 2023 (36 772). Dans le détail, l'évolution -toujours négative- diffère pour les réservations de la vente au détail (aux particuliers) et en bloc (institutionnels et bailleurs sociaux). Cette dernière ayant déjà fortement diminué en 2022, elle connaît une baisse limitée (2,7%). En revanche, la chute est brutale pour les ventes au détail, passées de 26 951 a 16 913 (-37,2%). Par ailleurs, sur ce segment, la répartition entre ventes aux investisseurs et acquéreurs, traditionnellement équilibrée, a évolué. Aujourd'hui, les deux tiers des achats sont le fait d'acquéreurs. Pour la FPI, plusieurs explications expliquent cette bascule dont une moindre attractivité du Pinel « classique », la monté des taux d'intérêts et les restrictions en matière de crédit immobilier imposées aux banques par le HCSF, Haut conseil de stabilité financière.

Le délais découlement des logements en crise

À rebours de tous ces indicateurs à la baisse, deux montent, mais il ne s'agit pas d'une bonne nouvelle, dévoile la FPI. En particulier, l'offre commerciale de logements, c'est-à-dire le nombre de logements qui sont proposés à la vente a augmenté. « En dépit du fait que nous sommes en situation de sous-offre, nous avons trop d'offres car nous n'écoulons rien. (…) Le niveau des stocks augmente », résume Pascal Boulanger. Résultat, le délai d'écoulement des logements s'allonge : au deuxième trimestre 2023, il atteint 17,3 mois contre 14,9 mois le trimestre précédent.

Depuis 2019, le délai tournait, en général, autour de 10 mois. Aujourd'hui, rares sont les métropoles où il est inférieur à 12 mois. Par exemple, le taux de rotation de stock atteint 24,7 mois à Bordeaux, 29 mois à Nantes, 24,9 à Lille, 14,9 à Caen et 16 à Nice. Autre évolution à la hausse : les prix ont poursuivi leur ascension au deuxième trimestre 2023, alors que ceux de l'ancien ont continué à décroître, les deux se rencontrant presque ( indice INSEE 131 pour l'ancien, 130 pour le neuf).

Un constat partagé et global

Cette double crise constitue une sérieuse menace pour le secteur, selon la FPI. Chez les promoteurs, « plus personne n'embauche. Ils ne remplacent pas les départs et certains commencent à préparer des PSE [ Plans de sauvegarde pour l’emploi]», dévoile Pascal Boulanger. Les professionnels les plus menacés seraient ceux de taille intermédiaire, les plus petits et les majors étant moins impactés ou plus solides financièrement.

Au delà, la FPI alerte sur l'impact global de ces difficultés. « Le logement, c'est systémique », pointe Didier Bellier-Ganière, qui déroule les conséquences d'un manque de constructions sur le logement social et sur le marché locatif. « C'est toute la chaîne du parcours résidentiel qui se bloque », insiste-t-il. Autre effet pervers induit par la crise de la construction du logement neuf, une diminution des recettes de la TVA pour l’État... « Si rien n'est fait, nous allons vers une crise majeure du logement », estime Didier Bellier-Ganière.

Préconisations

La FPI préconise plusieurs mesures. À commencer par une mesure temporaire « électrochoc », indolore sur le court terme pour les finances publiques : l'exonération de droits de succession pour l'achat d'un logement neuf destiné à devenir un logement principal. Sur le long terme, « il faut faire en sorte que les maires retrouvent une motivation à délivrer des permis de construire », plaide Pascal Boulanger. La FPI propose, notamment, de redistribuer aux communes «bâtisseuses » une partie de la TVA immobilière. Pour Pascal Boulanger, il faut combiner des mesures immédiates pour contrer la « crise violente de l'arrêt de la demande », et d'autres, structurelles, pour répondre à « une crise chronique sur l'offre ». La Fédération porte ces propositions depuis le début du quinquennat au moins. « Il n'est plus temps de faire des réunions (…) Nous attendons des mesures rapides », conclut le président de la FPI.

En juin dernier, à l'issue des travaux du CNR, Conseil national de la Refondation consacré au logement, les propositions retenues par Élisabeth Borne, Première ministre, avaient profondément déçu les participants, de la Fondation abbé Pierre aux professionnels du secteur (dont la FPI). « Le gouvernement a-t-il conscience que la situation deviendra hors de contrôle et que toute la chaîne du logement continuera à se bloquer ? » avaient interrogé ces professionnels, dans un communiqué du 5 juin.