« Malgré la crise sanitaire qui s’installe, la mobilisation des experts-comptables ne faiblit pas »

Charles-René Tandé, président de l’Ordre des experts-comptables, aborde les impacts économiques de la crise sanitaire actuelle et les difficultés constatées sur le terrain, tant pour les entreprises que pour les experts-comptables eux-mêmes.

©Adobestock.
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Nous sommes face à une période très difficile de crise sanitaire et l’Est de la France est l’une des régions les plus sinistrées par le Covid-19. Quelle est la situation à Strasbourg où se situe votre cabinet ?
Charles-René Tandé : Effectivement, nous avons été les premiers touchés et nous sommes à l’écoute de toutes les informations et très sensibilisés à la sécurité des équipes. On a tout de suite mis en place les mesures de télétravail, réduit les équipes sur place, respecté toutes les mesures barrières et de distanciation sociale mais on a continué à travailler pour accompagner nos clients sur le plan de la gestion de leur trésorerie, de la mise en place de l’activité partielle dans leurs entreprises mais aussi sur le plan de l’établissement des fiches de paie pour les salariés.

Le Conseil supérieur a mis en place des services d’aide aux entreprises. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
On a mis à disposition des consoeurs et confrères, mais aussi des entreprises, de nombreux services : une foire aux questions (FAQ) mise en ligne sur notre site internet www.experts-comptables.fr, des informations fiables parce que validées auprès des services des différents ministères, mise en place une hotline avec les équipes de Infodoc-experts, qui ont déjà traité plus de quatre mille questions en trois semaines via deux plateformes : SOS entreprises, dédiée à l’assistance sur le fiscal, le social et le juridique, et SOS cabinets pour répondre aux interrogations posées et venir en aide aux experts-comptables qui pouvaient être en souffrance pour des raisons physiques et/ou matérielles. Il fallait pouvoir apporter du soutien et de l’aide à certains confrères, pour assurer une continuité de service. Enfin, un numéro vert 08000 65432 «Appelle un expert» a été mis en place jusqu’au 30 avril pour répondre aux dirigeants qui n’ont pas d’expert-comptable et qui souhaitent des réponses sur les aides mises en place par le Gouvernement.

Charles-René Tandé, président de l’Ordre des experts-comptables.

Les experts-comptables ont aussi eu des difficultés dans leur activité professionnelle mais vous leur avez obtenu la possibilité de circuler dans le cadre de leur exercice. Avez-vous eu des remontées des Conseils régionaux de l’Ordre touchés par la maladie ?
On a des remontées permanentes. On transmet au Gouvernement tout ce qui se passe sur le terrain et dans les cabinets, tous les cas, pour en tirer les conséquences. Au sein des cabinets d’expertise comptable, il y a des malades, j’en compte parmi mes collaborateurs. En conséquence, certaines équipes sont restreintes. Je tiens à saluer la mobilisation exceptionnelle de notre profession, dans des conditions dégradées et souvent difficiles. Une pensée particulière pour celles et ceux qui sont directement touchés par la maladie.

S’agissant des entreprises, avez-vous obtenu le report des délais de dépôt des liasses fiscales ? Qu’est-ce qui reste à faire ?
Nous attendons une réponse positive de la part de la DGFIP, direction générale des Finances publiques, pour un nouveau report des délais de dépôt des liasses fiscales. De même, toutes les clôtures du 1er trimestre jusqu’au 31 mars devraient bénéficier d’un report.
On a déjà obtenu des facilités pour établir les déclarations de TVA avec des mesures permettant de s’inspirer des déclarations du mois de janvier et de février et d’appliquer un pourcentage forfaitaire à régulariser avec le réel quand on sortira du confinement. Et tout récemment nous avons obtenu l’accord de Madame la ministre Muriel Pénicaud sur le report de délais de transmission des demandes de chômage partiel de 30 jours, a minima jusqu’au 30 avril. Globalement, on a obtenu un certain nombre de mesures pour faciliter notre vie dans les cabinets mais il est vrai que le temps que nous passons à répondre à nos clients, à les aider sur la mise en place de l’activité partielle ou à obtenir des financements, c’est autant de temps que l’on ne peut pas passer sur l’établissement des liasses fiscales, donc mécaniquement, il nous faut un délai supplémentaire.

À la fin de cette crise dramatique, il faudra en tirer les conséquences et trouver de l’amélioration pour nos entreprises et notre économie”

Aujourd’hui, quelles sont les grandes préoccupations des chefs d’entreprise qui vous consultent ?
La préoccupation des quinze derniers jours était essentiellement relative à l’activité partielle, avec des problèmes de connexion, de dépôt de dossiers etc. Aujourd’hui, ce qui inquiète c’est la trésorerie. En effet, on entre dans la cinquième semaine de confinement, certains secteurs n’ont pas du tout de recettes depuis et même ceux qui étaient bien portants se retrouvent avec des difficultés de trésorerie et demandent des financements auprès des banques, des prêts garantis par l’État. Ça devient une urgence pour les entreprises. Toutefois, on insiste beaucoup sur le maintien des crédits interentreprises, sur la nécessité de régler les fournisseurs pour ne pas couper la chaîne, donc de recourir à l’emprunt auprès de sa banque et d’honorer ses dettes.

Quelles sont les actions que vous avez suggérées au ministère de l’Economie pour atténuer cette crise et pour aider les entreprises ?
On a participé à l’élaboration des mesures d’aide, au soutien des entreprises concernant la prime de 1 500 euros et contribué à ramener à 50% au lieu de 70% la référence du mois de mars sur la baisse d’activité. Cette aide reste assez faible car 1 500 euros ne permettra pas à beaucoup d’entreprises de couvrir les frais fixes. On a mis en place toutes les mesures de décalage proposées par le Gouvernement, mais cela n’empêchera pas de se retrouver face à d’autres problématiques comme celles des mandataires sociaux, qui ne sont pas indemnisés. C’est un point non négligeable qui reste à traiter.

Le ministre de l’Economie souhaite que les entreprises ne versent pas leurs dividendes en cette période de crise mais pour certaines entreprises, et comme vous le dites les mandataires sociaux, c’est une source de revenus…
Cette interdiction de verser les dividendes ne concerne que les entreprises de plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires ou de plus de 5 000 salariés. Vu le seuil qui a été établi par le ministre, nous n’avons aucun souci pour les PME.

Que ressentez-vous de cette crise ? Peut-on espérer une reprise selon-vous ?
Chaque semaine qui passe, nous sommes en arrêt d’activité, ce qui est d’autant plus compliqué pour le redémarrage de l’économie. C’est ce qui fait que la crise est plus profonde. Par ailleurs, plus il y a d’arrêts d’activité, plus il y a de risques d’augmentation du nombre de dépôts de bilan.
Plus vite la situation reprendra sur le plan économique mieux ce sera même s’il est évident que cela ne se fera pas du jour au lendemain. Il va falloir du temps pour retrouver un rythme normal. Pour l’instant, le plus important est bien évidemment l’aspect sanitaire et nous suivrons les décisions qui seront prises.
Enfin, il faut se projeter au-delà de la crise et en tirer les enseignements. L’un d’entre eux visera sûrement le télétravail et la dématérialisation. Certains concepts seront sûrement repensés. A la fin de cette crise dramatique, il faudra en tirer les conséquences et trouver du positif et de l’amélioration, pour nos entreprises et notre économie.

Propos recueillis par Boris Stoykov, Les Affiches Parisiennes pour Réso-Hebdo-Eco – www.reso-hebdo-eco.com