Quelles autoroutes après la fin des concessions ?

Alors que les concessions autoroutières arrivent à échéance au cours de la prochaine décennie, les sociétés concessionnaires, le régulateur et l’Etat s’interrogent sur l’avenir du réseau et s’inquiètent d’une décision politique qui décréterait la suppression des péages.

© Olivier RAZEMON
© Olivier RAZEMON

Les échéances sont encore lointaines. Mais elles sont dans toutes les têtes. D’ici une dizaine d’années, de nombreuses concessions autoroutières arriveront à échéance. Les 1 388 kilomètres d’autoroutes concédées à la Sanef (Société des autoroutes du nord et de l’est de la France) sont concernés dès 2031, les 1 867 kilomètres des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône le seront en 2035 et les 2 724 kilomètres des Autoroutes du sud de la France en 2036. Suivront d’autres concessions ; il en existe plus d’une vingtaine, dont certaines ne parviendront à échéance que dans les années 2080.

Qui va entretenir et moderniser, à terme, le réseau aujourd’hui concédé ? Le sujet est explosif. « Radioactif », corrige Yves Crozet, économiste des transports, qui a rédigé un rapport consacré au « système autoroutier à l’issue des concessions » pour TDIE, think tank du secteur des transports. « Beaucoup de Français estiment que l’usage des autoroutes devrait être gratuit, puisque les routes sont gratuites », indique l’économiste. Il est vrai que l’image des sociétés concessionnaires, accusées d’entretenir une rentabilité excessive, est déplorable. La volonté de ces entreprises de répercuter, sur les tarifs, la taxe sur les « surprofits » voulue par le ministre Clément Beaune, n’est pas de nature à apaiser le débat.

La concession au secteur privé de 9 000 kilomètres d’autoroutes, sur les 1,1 million de voies que compte le pays, « est une spécificité française, comme le TGV ou le versement transport, taxe destinée à financer le transport public », rappelle Yves Crozet. L’économiste confirme que lors des deux dernières décennies, le chiffre d’affaires des sociétés concessionnaires a progressé bien plus que l’inflation. Curieusement, cette hausse n’a pas refroidi les automobilistes. « La demande de transport par autoroute, qui additionne les trafics poids lourds et véhicules légers, est peu sensible au prix des péages », indique-t-il.

Même si l’autoroute est toujours plus chère, le nombre de kilomètres parcourus augmente, une tendance que l’économiste attribue à « la qualité de service, les gains de temps que permet l’usage des autoroutes, et l’évolution des modes de vie ».

Adaptation aux événements climatiques

Les experts savent que le réseau devra évoluer dans les prochaines années. Selon Yves Crozet, la « décarbonation du réseau » implique « des investissements massifs », sous la forme, notamment, de bornes de recharge pour les véhicules électriques, alimentées par des rails ou une caténaire. En outre, les événements climatiques pèsent sur l’entretien. « L’impact des épisodes sans précédents, températures élevées, inondations, incendies n’a pas été chiffré, mais cela est en train de nous rattraper », admet Pierre Coppey, PDG de Vinci Autoroutes et vice-président de l’Association française des sociétés d’autoroutes.

Compte tenu de ces enjeux, ainsi que des contraintes budgétaires et des choix politiques, Yves Crozet a bâti cinq scénarios sur « l’après-concession ». La préférence du spécialiste va à la création d’un « fonds routier », alimenté par les usagers, qui financerait l’ensemble du réseau routier. Le réseau serait « hiérarchisé selon son intensité de trafic », les actuelles autoroutes à péage devenant « des routes de première classe supportant une redevance élevée », précise l’économiste. Ce scénario raisonnable demeure toutefois « extrêmement improbable », regrette-t-il.

A l’inverse, Yves Crozet redoute « le choix politique en faveur de la gratuité ». Ce serait selon lui la suite logique des suppressions successives de la vignette automobile, de la taxe d’habitation, de la redevance audiovisuelle, et s’inscrirait dans la lignée des expériences de gratuité des transports collectifs. Outre le fait que la suppression totale des péages reviendrait à « offrir la gratuité aux touristes étrangers et aux transporteurs routiers », il insiste : « N’oublions pas que ce qui est ‘rendu’ aux usagers est pris aux contribuables ! »

Pour l’heure, « l’Etat n’a pas l’intention de se priver d’une telle contribution », précise toutefois Thierry Coquil, directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités, qui a fait ses calculs : « si on ajoute aux 5 milliards d’euros de recettes fiscales les 3 milliards annuels que coûtent les autoroutes, il nous faudrait trouver 8 milliards d’euros par an ».

Pierre Coppey avance ses arguments pour le maintien du système actuel. La concession, imaginée par une loi de 1955, garantit « le meilleur produit autoroutier d’Europe, a mobilisé l’argent privé, rendu acceptable le péage » et « apporté la prospérité aux territoires », assure-t-il. La concession permet en outre de « sanctuariser le financement ». Enfin, le péage constitue « la seule taxe carbone jamais pérennisée », puisqu’une partie des recettes fiscales sont « fléchées vers les infrastructures ferroviaires ».

Les experts craignent l’impact de la gratuité, qui pourrait par exemple être proposé par un candidat à la présidentielle, sur l’étalement urbain. « Si les autoroutes étaient gratuites, cela amènerait les automobilistes à s’installer plus loin », souligne Thierry Coquil. Or, c’est le scénario que connaît l’Espagne, où les péages ont été supprimés en en septembre 2021, avant d’être rétablis d’ici 2025. L’année qui a suivi la gratuité, « l’usage des autoroutes a progressé de 41%, en raison du report des autres voies routières. Et on a constaté une progression globale du trafic routier de 7% », rapporte Pierre Coppey.