Reprises d'entreprises : quoi de nouveau, depuis le Covid ?

Les reprises d'entreprises ont retrouvé leur niveau de 2019, mais les plus petites trouvent de plus en plus difficilement acquéreur. Pour ceux qui se lancent, l'aventure présente moins de risques que la création d'une société.

Traditionnellement, la reprise d'entreprise est moins valorisée en France, par rapport à la création.© Adobe Stock.
Traditionnellement, la reprise d'entreprise est moins valorisée en France, par rapport à la création.© Adobe Stock.

C'est l'un des nœuds traditionnellement dolents de l'économie française : le faible niveau de reprise des entreprises. En la matière, qu'est-ce qui a changé depuis la pandémie ? L'AJPME, Association des journalistes spécialisés dans les PME, a consacré une table ronde à ce sujet, le 14 novembre dernier, à Paris. Sur le plan quantitatif, en 2022, les reprises d'entreprises ont retrouvé leur niveau de 2019 pour atteindre environ 50 000 cessions ou transmissions, selon la direction études et prospective du groupe bancaire BPCE, qui fait référence en la matière.

Dans le détail, les transmissions onéreuses sont revenues à leur niveau de 2019, tandis que celles familiales (qui représentent près de 20 % des transmissions) ont baissé de 25 % sur la même période. « Elles sont très sensibles aux cycles économiques », note Alain Tourdjman, directeur études et prospective du groupe BPCE. Et enfin, les fusions ou opérations de restructuration connaissent une bonne dynamique, selon la CCI Paris Île-de-France. Par secteurs, les transactions concernant les hôtels, cafés, restaurants et commerces alimentaires ont augmenté en 2022, après la crise des deux années précédentes. La tendance est inverse dans le médical, l'industrie et la construction.

Par ailleurs, quel que soit le secteur, « nous ne constatons pas de lien entre la présence de dirigeants de plus de 60 ans et un plus fort taux de cession », pointe Alain Tourdjman . Quant à la CCI Paris Île-de-France, elle observe, sur le terrain, que la crise a bousculé le marché des cessions. « Elles sont favorisées par une certaine lassitude des dirigeants qui ont été éprouvés par l'épisode du Covid. Certains sont prêts à se désengager de leur entreprise bien avant l'âge de la retraite », dévoile Branka Berthoumieux, responsable du pôle Reprise-transmission à la CCI Paris Île-de-France.

Côté acheteurs, les hausses de taux d'intérêt changent la donne, rendant plus difficile l'achat par les personnes physiques. En revanche, « la période est intéressante pour les personnes morales. Nous constatons une bonne dynamique de croissance externe. Les stratégies auparavant réservées aux plus grandes entreprises deviennent plus courantes pour les PME », explique Branka Berthoumieux.

Les TPE trop facilement substituables ?

En matière de cession-reprise d'entreprises, les deux experts se rejoignent sur un autre constat, celui de la spécificité de la situation des plus petites entreprises. Sur le long cours, « les entreprises de petite taille sont de moins en moins valorisées. Entre 2013 et 2022, le nombre de cessions sans salariés a diminué de moitié. Sous un certain niveau, les entreprises se vendent de moins en moins », note Alain Tourdjman. De nombreux facteurs concourent à nourrir cette tendance. A commencer par les difficultés bien connues des cédants. De nombreux dirigeants de ces petites entreprises - qu'ils ont souvent fondées- n'anticipent pas suffisamment leur transmission. Par manque de temps, de moyens, auxquels s'ajoutent éventuellement des réticences personnelles à envisager ce changement de vie...

Autre facteur qui entrave la transmission des petites entreprises, «la dimension de substituabilité. Lorsque l'on peut remplacer une entreprise par une nouvelle, il n'y a pas de reprise », explique Alain Tourdjman. Cette dimension varie selon les secteurs. Par exemple, sauf à être équipé d'appareils coûteux, un cabinet médical ne présente pas vraiment d'intérêt à la reprise. Il suffit de s'installer, la patientèle se presse. Autre cas, « dans le bâtiment, les taux de reprise sont très faibles et commencent à des niveaux de taille d'entreprise élevés. Il faut un niveau d'économie d'échelle ou de spécialité pour que la reprise ait un sens », poursuit l'économiste. La situation est très différente pour la boulangerie en raison de son équipement, son savoir-faire et son emplacement. Traduction concrète de cette situation, actuellement « le marché de la reprise est compliqué (…). Il est un peu déséquilibré. Les repreneurs sont des dirigeants qui visent une croissance externe ou des personnes physiques, des cadres issus d'entreprises, la quarantaine, qui souhaitent construire leur propres projets. Dans les deux cas, le plus souvent, ils cherchent une entreprise déjà structurée qui permette de déployer une dynamique commerciale et de développement, ce qui suppose une dizaine de personnes au moins. Or, ce n'est pas le cas de nombre des entreprises qui sont à vendre », décrit Branka Berthoumieux.

« La reprise, ce n'est pas ringard »

Traditionnellement, la reprise d'entreprise est moins valorisée en France, par rapport à la création ont déploré l'ensemble des intervenants. Et pourtant, deux entrepreneurs repreneurs venus témoigner ont largement trouvé leur compte - au sens large- dans ce choix. Le premier, Paul-Olivier Claudepierre codirige l’entreprise Martin-Pouret, vinaigrier ( Entreprise du patrimoine vivant), qu'il a reprise en 2019. Damien de Charry préside la société Novex qui conçoit et commercialise des accessoires de beauté et de bien-être, reprise l'an dernier. Tous deux incarnent le second profil du repreneur identifié par Branka Berthoumieux : ils ont réalisé une carrière dans des multinationales avant de se décider à se lancer dans leur propre aventure. Et ils ont opté pour une entreprise de 10 à 15 salariés, déjà structurée, présentant un bon potentiel de développement. Mais la reprise en elle-même prend du temps, rappelle la responsable : « à minima 12 à 18 mois ». Par exemple, cela a pris deux ans à Damien de Charry avant de trouver et acquérir Novex. Le temps de réaliser plusieurs formations, notamment auprès de l’association Avarap, qui accompagne les cadres dans la construction d’un projet professionnel, et de la CCI ( le stage « 5 jours pour reprendre »). Il a également réalisé cinq dossiers de reprise, travaillant avec un expert-comptable et un cabinet juridique pour éviter toute mauvaise surprise...

Mais reprendre une entreprise qui dispose déjà d'un patrimoine industriel et de savoir-faire importants représente un atout considérable pour se développer. Chez Martin-Pouret, cinq nouveaux salariés sont arrivés et le chiffre d'affaires a déjà plus que doublé depuis la reprise en 2019, pour atteindre 5 millions d'euros, Et Paul-Olivier Claudepierre n'entend pas s'arrêter là. « Nous allons construire de nouveaux ateliers, car nous sommes un peu à l'étroit. (…). Nous allons investir 7,5 millions d'euros, afin de multiplier notre production par 2,5 », annonce-t-il. « En France, on a plus tendance à valoriser la création d'entreprise plus que la reprise. (… ) La reprise, ce n'est pas ringard », souligne l'entrepreneur. « Reprendre est plus ‘secure’ que créer », complète Branka Berthoumieux. D'après la CCI Paris Île-de-France, le taux de sinistralité est bien moindre dans la reprise que dans la création d'entreprise.