Transmission de valeurs chez Léa Nature

Avec sa famille, Charles Kloboukoff, fondateur de Léa Nature, a choisi de mettre sur pied un fonds de dotation actionnaire pour transmettre son entreprise. Une démarche encore rare en France.

(de g. à dr.) Me Christian Nouel, Emma et Charles Kloboukoff.
(de g. à dr.) Me Christian Nouel, Emma et Charles Kloboukoff.

Un pacte Dutreuil ? Non merci... Charles Kloboukoff, fondateur de Compagnie Léa Nature (2 000 salariés et 500 millions de chiffre d'affaires, dans le domaine du bio) a choisi une autre solution pour transmettre sa société dont il est actionnaire majoritaire : un fonds de dotation actionnaire. Le 8 septembre, à Paris, lors d'une conférence de presse, Charles Kloboukoff et Emma Kloboukoff, l'une de ses filles, déléguée générale de F.I.C.U.S Fondaction, Fonds de soutien aux initiatives citoyennes utopiques et solidaires, présentaient cette démarche familiale inhabituelle en France.

En Europe du Nord, elle est plutôt banale. Par exemple, le Danemark compte 1300 fondations actionnaire, et la Suède, 1000, dont celle qui détient Ikea. Dans ces pays, « de nombreuses entreprises familiales y sont détenues par des fondations d'actionnaire. Cela permet à la fois de pérenniser le capital de l'entreprise et d'ancrer ses valeurs sur le long terme », explique Christian Nouel, avocat qui a accompagné la famille Kloboukoff et fondateur de la Fondation Croissance responsable, qui promeut le dispositif.

Ce dernier est plutôt récent en France (2010), et rares sont les entreprises qui l'utilisent à la manière de Léa Nature. Son fondateur, en accord avec sa famille, a décidé de transmettre progressivement le contrôle de son capital à F.I.C.U.S, en faisant don de ses actions. F.I.C.U.S n'a pas vocation à intervenir dans la gestion de l'entreprise. En revanche, comme actionnaire, il devient garant de la mission d'intérêt général inscrite dans les statuts de Léa Nature depuis 2019. Le dispositif pourrait sembler contraignant, toutefois, « si l'autonomie financière de l'entreprise est en péril, il reste toujours possible de faire une augmentation de capital », précise Charles Kloboukoff . F.I.C.U.S, alimenté par ses dividendes (500 000 euros, en 2021 et 550 000 euros, en juin 2022) a commencé à œuvrer en faveur de causes d'intérêt général. Son comité philanthropique composé de 15 salariés volontaires a par exemple choisi de réaliser des dons au profit de SOS Méditerranée et de l'association Eaux vives, membre d’Emmaüs, pour l'ouverture d'une maison d’accueil à Nantes pour femmes précaires.

Valeurs capitales

Dans la trajectoire de Charles Kloboukoff, cette transmission de l’entreprise s'inscrit dans une démarche qui a pris son sens dès son démarrage. Lorsqu'en 1993, il l’a créée, c'est certes par goût de la liberté, mais surtout, pour proposer une alternative : « Je souhaitais promouvoir des produits naturels qui soient à la fois bénéfiques pour la santé et pour la nature elle-même », explique-t-il. Avec une philosophie sous-jacente nourrie de ses rencontres avec des pionniers de l'agroécologie : « mon rapport à l'entreprise est largement teinté d'une vocation de réconcilier l'homme et la nature, après une ère qui depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, s'est beaucoup tournée vers l'industrialisation », précise Charles Kloboukoff. Cette philosophie s'est incarnée dans différentes étapes de l'entreprise et dans toutes ses facettes. En 1999, le siège social de l'entreprise à la Rochelle est écoconçu. En 2007, elle a adhéré au club restreint des entreprises qui donnent 1% de leur chiffre d'affaires annuel à des associations engagées pour l'environnement. Léa Nature a également mis sur pied sa propre fondation d'entreprise.

Bilans carbone, suppression des voyages en avion, analyse des cycles de vie des produits, actionnariat salarié très développé ... « À chaque étape de la vie de l'entreprise, nous prenons conscience d'enjeux différents », note Charles Kloboukoff pour qui F.I.C.U.S constitue une sorte « d'aboutissement ». « Cela s'est fait avec les enfants qui ne voulaient pas non plus rentrer dans une logique d'héritage », souligne-t-il. La deuxième génération est présente au conseil d'administration de F.I.C.U.S, mais cela ne lui donne pas de pouvoir au sein de Léa Nature, si ce n'est celui de veiller à la préservation de ses valeurs... Une petite révolution culturelle, du point de vue des transmissions d'entreprise. « Dans une entreprise familiale qui en est à la 6ème génération, dire que les titres n'appartiennent plus à la famille constitue un gap psychologique important. Pour les primo-entrepreneurs, c'est différent. Ils s'inscrivent plus facilement dans une logique selon laquelle l'entreprise n'appartient pas à ses actionnaires », note Christian Nouel.