Conjoncture

Un an de crise : l’étendue des dégâts

Les chocs successifs liés aux restrictions et aux mesures sanitaires devraient aboutir, pour la période allant de mars 2020 à mars 2021, à une récession de 4%, estime l’Insee. Les dégâts demeurent limités dans l’industrie, et affectent surtout les services, au point de peser sur l’emploi.

L’hébergement-restauration a connu deux commotions successives, correspondant aux confinements, et ne semble pas devoir s’en remettre prochainement.(c)O.Razemon
L’hébergement-restauration a connu deux commotions successives, correspondant aux confinements, et ne semble pas devoir s’en remettre prochainement.(c)O.Razemon

"Sous la menace… " était le titre d’une note de conjoncture que l’Insee s’apprêtait à publier en mars 2020. La publication a finalement été suspendue et l’Institut a procédé à ce que l’on appelle du « nowcasting », par opposition au « forecasting », c’est-à-dire un exercice de prévision immédiate, ou observation de l’instant présent. Avec une année de recul, les conjoncturistes tentent, dans une note intitulée "Un an après", de renouer avec leurs méthodes traditionnelles, mais reconnaissent qu’ils émettent surtout des hypothèses. « Le virus déjoue même les pronostics des plus éminents virologues », sourit Julien Pouget, chef du département de la conjoncture.

En apparence, malgré la crise « d’une ampleur et d’une soudaineté inouïes », l’économie française ne décroche pas complètement. À la fin du premier trimestre 2021, l’Insee anticipe ainsi une récession de (seulement) 4% par rapport au niveau d’avant-crise. À la fin du deuxième semestre, les conjoncturistes se risquent à prévoir une reprise progressive et envisagent une récession de 3% par rapport à début 2020.

Mais ces chiffres cachent d’importantes disparités, selon les secteurs d’activité. « C’est une crise des services, plus que de l’industrie », tranche Julien Pouget. Dans l’industrie, la récession puis la reprise, dès l’été 2020, dessinent « une courbe presque en V », signant un retour fulgurant à la situation antérieure. Le rebond est particulièrement net pour le secteur des biens d’équipement, qui comprend les machines et les bâtiments destinés à la production. Seuls les matériels de transport montrent encore une certaine faiblesse.

En revanche, dans les services, l’état des lieux est « beaucoup plus contrasté ». L’indice du secteur « information-communication », majoritairement informatisé, a pratiquement poursuivi sa hausse insolente comme si rien ne s’était passé. En revanche, le transport a subi un choc massif en mars 2020, s’est relevé pendant l’été, avant de stagner depuis. Enfin, l’hébergement-restauration, sans surprise, a connu deux commotions successives, correspondant aux confinements, et ne semble pas devoir s’en remettre prochainement.

Les revenus se maintiennent

L’espoir peut-il revenir ? Les conjoncturistes pèsent le pour et le contre. L’économie « montre des signes de lassitude », en raison des mesures sanitaires, distanciation physique, masques et horaires modifiés, qui se traduisent par une détérioration de la productivité. Mais « l’investissement a mieux résisté qu’on ne pouvait le craindre », écrivent-ils.

Leur inquiétude se concentre toutefois sur l’emploi, dont les pertes, encore limitées fin 2020, devraient s’amplifier. Pour autant, le taux de chômage ne monte pas en flèche. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle. Car cette accalmie, artificielle, s’explique surtout par « une contraction de la population active », explique Olivier Simon, chef de la division "Synthèse conjoncturelle" de l’Institut. Autrement dit, des personnes qui cherchaient un travail ont, face à un avenir bouché, renoncé purement et simplement et ne sont plus comptabilisées dans les statistiques. Ce phénomène s’est produit lors du premier confinement, et dans une moindre mesure lors du deuxième. Les prévisionnistes s’attendent à une remontée du taux de chômage à 8,5% à la fin du premier trimestre, contre 7,8% début 2020.

Dans ces circonstances, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les revenus moyens des ménages n’ont pas baissé. Ils ont même gagné 1,1% en 2020, et le pouvoir d’achat, compte tenu de l’inflation, 0,6%. Là encore, ces chiffres cachent plusieurs mouvements contradictoires. Les revenus d’activité ont baissé de 2,5%, en moyenne, mais ils ont été compensés par une hausse de près de 3% des prestations. La baisse des revenus de propriété, ainsi que de moindres impôts et cotisations, complètent le tableau. Pour 2021, l’Insee anticipe des mouvements comparables, mais dans une plus faible ampleur. A terme, ces mouvements pourraient, toutefois, pénaliser les ménages les plus fragiles.

Plus que jamais, l’éventuelle reprise semble dépendre de la consommation, et de la manière dont les ménages utiliseront l’épargne « forcée » accumulée durant les confinements. Toutes les catégories de revenus ont, en moyenne toujours, limité les dépenses depuis un an, affirme l’Insee. Les ménages les plus pauvres ont bien sûr moins épargné, mais en proportion de leur revenu, ce budget supplémentaire est tout de même supérieur à la part de revenu épargnée par les plus riches.

Aujourd’hui, la consommation reste « bridée par le couvre-feu et par la fermeture des grands centres commerciaux », observe Julien Pouget. Certes, poursuit-il, les ménages « s’adaptent », et les ventes en ligne compensent en partie les ventes physiques. Mais les données des transactions par carte bancaire montrent, par exemple, que les dépenses déclenchées par les soldes d’hiver, en 2021, sont inférieures à celles des éditions 2019 et 2020. De même, dans les secteurs soumis à un confinement de week-end, le littoral des Alpes-Maritimes et l’agglomération de Dunkerque, les transactions ont beaucoup plus baissé qu’ailleurs. Ceci explique sans doute pourquoi, malgré une situation sanitaire alarmante, le gouvernement a tant tergiversé au sujet d’un confinement en Île-de-France.