« UNE AMBITION MÈNE PLUS LOIN QU’UNE DÉMARCHE CONSERVATRICE »

Chantal Neri, auteure de Et si le prochain Google était français ?
Chantal Neri, auteure de Et si le prochain Google était français ?

Docteur en physique des matériaux et diplômée de HEC, Chantal Neri est engagée dans l’innovation depuis plus de 20 ans. Business développeuse, elle partage son temps entre la France et la Californie. Elle vient de publier un ouvrage pratique, synthèse de ses différents constats sur les freins et accélérateurs potentiels du développement stratégique des entreprises européennes.

Aujourd’hui, Chantal Neri poursuit ses missions de formation à l’international et intervient auprès de dirigeants d’entreprises et de professionnels des réseaux d’accompagnement à l’entrepreneuriat. Son credo : la stratégie de développement, le marketing et l’innovation. Dans la Silicon Valley, où elle a évolué dans le contexte high-tech, global et rapide du semi-conducteur, elle a travaillé avec des équipes réparties aux États-Unis, en Europe et en Asie. En France, elle a conseillé plus de 400 dirigeants d’entreprises et de start-up. Son expertise de l’entrepreneuriat concerne autant les porteurs de projets que les grands groupes, en France et à l’international, avec un intérêt particulier pour les technologies émergentes. Chantal Neri assure également une activité d’expert auprès d’EASME, l’agence exécutive de la Communauté européenne pour le développement des entreprises. Dans son dernier ouvrage, Et si le prochain Google était français ?, outre une analyse des forces et faiblesses de l’innovation tant en France qu’en Europe, elle livre dix pratiques et des dizaines de conseils qui ont fait et font le succès des géants de la Silicon Valley. L’ouvrage propose ainsi de partager des méthodes « terriblement » efficaces pour inspirer de nouvelles aventures entrepreneuriales. Innovation, croissance, international, diversité, performance prennent un autre sens dans le nouvel opus de Chantal Neri. « Des pratiques à traduire de toute urgence dans la démarche d’innovation de nos futures licornes françaises et européennes », selon l’auteure. Mais aussi dans tout projet à fort potentiel, même émergent.

Réso Hebdo Eco : ” Faire d’une technologie une activité profitable” et ” Haut et loin ! ” sont vos devises favorites. Vous croyez résolument au potentiel d’un entrepreneuriat français qui peut réussir sur l’échiquier global…

Chantal Neri : Mon ouvrage est issu d’une longue expérience professionnelle. Avec ce constat : comment se fait-il que sur les dix entreprises mondiales les plus importantes aujourd’hui, huit soient américaines ? Comment expliquer que Levi Strauss et Coca Cola soient devenues des entreprises multinationales iconiques sur un matériau ou un procédé initialement français ? J’ai eu envie de formaliser les bonnes pratiques qui créent le lien entre une belle technologie et la rentabilité, de la conception jusqu’au marché, pour générer du chiffre d’affaires et surtout de la profitabilité. Le livre se concentre sur la situation française, avec quelques remarques liées au contexte européen. Le prochain, en anglais, s’appuiera sur mon activité d’expert pour aborder l’Europe. Après une expérience mondiale au sein d’un grand groupe, entre la Californie et le Languedoc, au contact des chefs d’entreprise d’Occitanie et d’autres régions de France, l’origine du livre est venue d’un autre constat : beaucoup de nos entrepreneurs rencontrent les mêmes obstacles et des barrières relativement similaires. Des problématiques que l’on ne rencontre pas dans la Silicon Valley. Ce sont donc des problématiques culturelles qui, sur certains aspects, sont essentiellement françaises, voire européennes. J’ai regroupé dans dix chapitres, incluant de très nombreux conseils, les méthodes qui ont assuré la réussite de start-up devenues aujourd’hui des géants mondiaux.

R.H.E. : Les 1 000 milliards de dollars d’Apple doivent vous inspirer ?

C.N. : Quand on regarde les podiums mondiaux, les entreprises qui ont le plus gros chiffre d’affaires, celles qui ont la plus belle rentabilité, avec les plus grosses capitalisations boursières… tous ces podiums sont trustés par des entreprises américaines. Il y a donc quelque chose qu’elles font bien et mieux. Si les Européens sont présents dans ces classements, ils ne sont jamais sur le podium… ou à de très rares exceptions. Et leur présence se réduit parce que la Chine entre dans la danse. Il va falloir se donner les moyens de rester sur ces podiums. Nous avons les technologies, les talents et les compétences pour le faire. Les plans nationaux de financement de l’innovation sont revus à la hausse. Tout se joue maintenant dans l’attitude, les méthodes appliquées, et des outils peu ou mal utilisés.

R.H.E. : Pourriez-vous citer un exemple ?

C.N. : En Europe et en France, on promeut beaucoup les ingénieurs, la formation d’in génieur, la technique… et nettement moins le business. La notion de marketing est souvent prise au sens péjoratif. Pourtant, le marketing, c’est s’assurer que l’on a une adéquation entre un client et un produit. Que ce produit est adapté au client, qu’il est au bon prix, disponible au bon endroit… C’est une véritable stratégie pour aller à la rencontre de la réussite. Je note qu’ici, la proportion de patrons sortant d’écoles d’ingénieurs a toujours été largement supérieure à ceux disposant d’un profil business. Mais cela évolue, et je pense que c’est une bonne chose. Dans les pitchs auxquels j’assiste, on voit très clairement que la partie technique est très bien travaillée, mais que la partie business est encore trop souvent le parent pauvre du projet.

R.H.E. : Est-ce un problème à considérer à l’échelle européenne ? Que fait l’EASME, à laquelle vous participez ?

C.N. : L’EASME (executive agency for small and medium enterprises) est l’agence de la Communauté européenne pour la compétitivité de l’entrepreneuriat en Europe. Elle a mis en place des plans de développement – tel H2020, qui permet de favoriser le financement de certaines filières. À ce titre, des subventions allant jusqu’à 3 millions d’euros sont proposées aux entreprises, seules ou en groupement, pour accélérer leurs projets. L’idée est de développer plus rapidement les pépites européennes.

R.H.E. : Parlez-nous d’une des pratiques à succès évoquées dans votre livre…

C.N. : Je tiens beaucoup au « Penser grand, think big «. On génère et on crée ce que l’on se permet d’imaginer. Il faut imaginer grand ! Je vais très souvent dans la Silicon Valley, dans les incubateurs, pour participer à des pitchs. Dans la plupart des cas, les start-up – c’est-à-dire deux personnes – se voient déjà leaders mondiaux dans leur domaine et organisent leur stratégie avec cet objectif. Si la mise en place se fait par étapes, l’état d’esprit est bien celui de conquête. Une ambition mène en effet plus loin qu’une démarche conservatrice. On pense généralement, notamment en France, qu’avoir une vision conservatrice c’est être plus prudent. Ce n’est pourtant pas un gage de succès, bien au contraire.