Vers une taxe carbone européenne

L’Union européenne (UE) a annoncé, le 13 décembre 2022, la création d’une taxe carbone aux frontières, qui devrait voir le jour à l’horizon 2027. Mais ses contours restent flous, comme sa finalité réelle…

(c)Adobestock
(c)Adobestock

En 2020, le président du Conseil européen, Charles Michel, affirmait que «l’UE n’acceptera pas que des biens non conformes aux normes environnementales concurrencent injustement les produits européens, tout en nuisant à notre planète». C’était l’acte de naissance d’une taxe carbone européenne, défendue depuis plus de vingt ans par Jacques Chirac et tous ses successeurs. Mais il aura fallu attendre juillet 2021 pour que ce « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » soit présenté par la Commission européenne, et décembre 2022 pour aboutir à un accord sur sa mise en œuvre, à l’horizon 2027.

Cette taxe carbone s’inscrira dans la panoplie des outils pour lutter contre le réchauffement climatique, problème que l’UE a pris à bras le corps, depuis quelques années. En témoigne la volonté de rendre l’Union neutre sur le plan climatique d’ici à 2050, dans le cadre du pacte vert pour l’Europe (Green Deal), lancé en 2019. Depuis, des actions politiques concrètes ont été annoncées en 2021 avec le plan Fit for 55, dont l’objectif est une réduction des émissions carbone de 55% d’ici à 2030. Parmi ces actions, l’on trouve la fin des émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2050, l’accompagnement des territoires dans la transition écologique, la création d’un droit climatique européen, des investissements massifs pour une économie propre et circulaire… et la création d’une taxe carbone aux frontières de l’UE.

Taxe carbone et quotas d’émissions

Pour résoudre le problème de la pollution au CO2, l’État peut bien entendu prendre des mesures coercitives qui réglementent les comportements (normes, règlements…). Il est également possible de faire appel aux mécanismes de marché, en agissant soit sur les quantités soit sur les prix. Dans le premier cas, il s’agit d’allouer des quotas d’émission de CO2, prosaïquement appelés «droits de polluer », puis de faciliter leur échange sur un marché du carbone, appelé système d’échange de quotas d’émissions. Dans le second cas, il s’agit d’imposer une taxe carbone de manière à diminuer la quantité produite au niveau socialement désirable, i.e. qui minimise l’émission de CO2. Mais comment calibrer de manière optimale cette taxe carbone ?

Quoi qu’il en soit, tous ces mécanismes ne peuvent avoir d’effet que s’ils sont appliqués à toute l’UE. C’est d’ailleurs déjà le cas, depuis 2005, avec le marché européen du carbone. Plus de 11 000 installations industrielles européennes (électricité, sidérurgie, raffineries, cimenteries, chauffage urbain, chimie…), représentant environ la moitié des émissions européennes de CO2, sont intégrées à ce dispositif. Hélas, de nombreux secteurs polluants y échappent encore, en particulier le transport aérien extra-européen. Et que dire des millions de quotas gratuits distribués par les États pour éviter une perte de compétitivité et des délocalisations, alors même que cela diminue fortement l’intérêt du mécanisme ?

Les contours flous de la taxe carbone de l’UE

Au lieu d’étendre ce dispositif existant, en corrigeant ses défauts évidents, l’UE a donc préféré se tourner vers une taxe carbone aux frontières de toute l’Union européenne : le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce faisant, les deux dispositifs vont cohabiter au moins jusqu’en 2032 ou 2035 : les États membres continueront à allouer des droits d’émissions gratuits, mais de manière dégressive, après l’entrée en vigueur de la taxe carbone européenne, à l’horizon 2027. Casse-tête en perspective !

En pratique, dès octobre 2023, les importateurs devront déclarer la quantité d’émissions de CO2 contenues dans les marchandises reçues. Puis, en 2027, au plus tard, les importations de marchandises des secteurs les plus polluants (acier, ciment, électricité, engrais…), provenant de pays aux normes environnementales moins strictes, seront taxées. À son démarrage, 55 à 60% des émissions industrielles de l’Europe seront ainsi couvertes par le MACF. Reste alors l’épineuse question des autres productions, dont l’automobile, qui pourrait échapper à la taxation selon le pays (hors UE) d’importation.

À bien y regarder, il subsiste un doute sur la finalité réelle du dispositif : s’agit-il de pousser les pays étrangers à adopter les normes environnementales européennes ou bien surtout de préserver la compétitivité des producteurs de l’UE ? L’Organisation mondiale du commerce (OMC) devra donc dire si un tel dispositif s’apparente ou non à une forme de protectionnisme européen. Assurément, la réussite du MACF dépendra beaucoup de la manière dont les pays hors de l’UE répondront à cette taxation.

Mais, en tout état de cause, une taxe carbone européenne aura forcément un impact négatif sur les prix des produits importés, ce qui pourrait refroidir à la fois la consommation des ménages et la production des entreprises européennes. D’où potentiellement des délocalisations et des pertes d’emplois. Voilà certainement pourquoi il est aussi question de créer un fonds social à destination des ménages et entreprises !