Imaginer les seniors au travail

Un « Congé réflexion carrière », des formations adaptées aux personnes qui ont quitté l'école depuis longtemps, une prévention santé élargie... Pour faire face aux enjeux du travail des seniors, de nombreuses propositions ont été émises lors d'un colloque organisé par la chaire TDTE.

Congé réflexion carrière : donner la possibilité de s'inventer une nouvelle trajectoire pour les 15 dernières années de carrière.
Congé réflexion carrière : donner la possibilité de s'inventer une nouvelle trajectoire pour les 15 dernières années de carrière.

Le « Congé réflexion carrière » sera-t-il un jour aussi familier aux Français que les congés payés instaurés par le Front Populaire en 1936 ? Près de 90 ans plus tard, c'est en tout cas une proposition qui émerge dans le débat ouvert après le vote de la réforme des retraites : que faire de ces seniors qui vont rester plus longtemps sur le marché du travail, et, possiblement, dans l'entreprise ? Le 26 octobre, à Paris la chaire TDTE, « Transitions démographiques, Transitions économiques », dédiée à la recherche sur l’impact du vieillissement et de la longévité sur l’économie et la société en France, fondée par l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, consacrait un colloque à ces thématiques. Et aussi, elle présentait sa proposition de « Congé réflexion carrière »: le dispositif, obligatoire, attribuerait aux salariés un congé d'un mois - fractionnable, pour ne pas pénaliser les PME - à partir de 50 ans. Objectif : leur donner la possibilité de s'inventer une nouvelle trajectoire pour les 15 années de carrière qui leur restent, afin d'éviter l'accident du chômage à 58 ans. Le dispositif serait financé et géré par France Travail.

Au cours du colloque, d'autres propositions ont été avancées par plusieurs intervenants, lesquels ont aussi, chacun à leur manière, comme praticiens ou scientifiques, éclairé ce phénomène sociétal majeur. Parmi eux, Marie-Alice Jourde, avocate au sein du cabinet parisien Jasper Avocats. Ses clients ? « Les n-2, -3, -4. A un moment donné, on considère qu'ils coûtent trop cher...Mais la vie des 55 à 60 ans diffère selon les entreprises. Les PME les gardent plus longtemps ; elle les paient moins et ont besoin de leur expérience. Les entreprises de plus de 300 à 400 salariés échangeraient bien un salarié de 60 ans pour deux de 30 ans... C'est là que l'on voit apparaître les licenciements », explique-t-elle.

Un autre éclairage, scientifique, concerne les attentes des seniors. Il est fourni par le CEREQ, Centre d'études et de recherches sur les qualifications. « Les études rebattent les clichés que l'on peut avoir sur cette catégorie. 30% seulement des seniors attendent gentiment la retraite. Les autres ont envie d'évoluer professionnellement », dévoile Jean-Marie Dubois, économiste. Au sein de cette dernière catégorie, 18% envisagent une reconversion, 22% veulent monter en compétence et 30% ont le désir et des perspectives d'évolution fortes. Il s'agit en général d'hommes très qualifiés.

Éviter les cercles vicieux

Mais d'autres subissent la trajectoire inverse : des ouvriers peu qualifiés aux conditions de travail dégradées qui ne parviennent pas à se former. Vers 55-60 ans, ils risquent de se retrouver au chômage avec des perspectives de retour à l'emploi bien minces. A cet égard, « en France, nous restons souvent focalisés sur un type de formation qui n'est pas adaptée à un public qui a quitté le milieu scolaire depuis très longtemps », pointe Jean-Marie Dubois. Pour lui, l'adaptation des formes de la formation constitue un enjeu clé pour améliorer la situation.

Dans un autre domaine, celui de la santé, Eric Jeanneau, président de l'UMR, Union mutualiste retraite, société à mission spécialisée dans l'épargne retraite, émet deux autres propositions : étendre à tous les salariés la couverture prévoyance qui permet de garantir un maintien de revenu des salariés en cas d’incapacité de travail. Aujourd'hui, elle n'est obligatoire que pour les cadres. Autre proposition : pratiquer la prévention de manière beaucoup plus large. Exemple : « On sait que la sédentarité engendre des problèmes avec l'âge. Or, elle est souvent liée au travail lui-même et peut nuire à la santé », illustre Eric Jeanneau. Pour motiver ses propositions, il insiste sur le « lien de causalité réciproque » entre santé et maintien au travail. Car le constat de la difficulté du maintien dans l'emploi pour les métiers les plus usants est clair. Une étude sur les arrêts de plus de trois mois a montré qu'ils ont des causes multiples. Mais les sondés déclarent très majoritairement que le travail a très largement contribué aux problèmes et cette proportion augmente à partir de 50 ans. « Il faut éviter que ce cercle vicieux ne se renforce avec l'âge », plaide Eric Jeanneau.

Une autre intervenante encore, Sibylle Le Maire, fondatrice du Club Landoy, collectif dédié à la révolution démographique crée à l'initiative du groupe Bayard. propose une autre démarche encore : une charte d'engagement en faveur de l'emploi des plus de 50 ans. Pour l'instant, elle a été signée par 47 sociétés (Air France, L'Oréal, Ikea…). Celles-ci s'engagent à communiquer sur le sujet des seniors en interne, à accompagner le développement de leurs compétences, à les encourager à s’ouvrir à de nouvelles perspectives de carrière, les recruter...