La loi de programmation pour la justice adoptée par le Parlement

Le Parlement a définitivement adopté la loi d’orientation et de programmation 2023-2027 du ministère de la Justice, ainsi que le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire. Les deux textes ont fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel.

(c) HJBC
(c) HJBC

C’est une trajectoire budgétaire sans précédent que la loi de programmation du ministère de la Justice prévoit pour les années à venir. Le budget de la Chancellerie va en effet dépasser les 10 milliards d’euros en 2024 et atteindre 10,7 milliards d’euros en 2027. Cette hausse inédite doit notamment permettre de financer plus de 10 000 créations nettes d’emplois d’ici 2027 (dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers), revaloriser les rémunérations des agents des services judiciaires et pénitentiaires, rénover et moderniser les tribunaux et créer 15 000 nouvelles places de prison.

De nombreuses réformes en matière pénale

La loi de programmation introduit plusieurs réformes en matière pénale. Les parlementaires ont tout d’abord validé l’habilitation donnée au gouvernement de réécrire, à droit constant, le Code de procédure pénale par voie d’ordonnances, afin d’améliorer sa lisibilité. Ils ont ensuite adopté bon nombre des propositions issues des travaux menés dans le cadre des États généraux de la justice visant à améliorer le déroulement de la procédure pénale.

Elles concernent, entre autres, le statut de témoin assisté, la détention provisoire, les procédures de comparution immédiate et à délai différé, l’assignation à résidence, les perquisitions en dehors des heures légales, le recours à la visioconférence pour l’examen médical et le droit à un interprète en garde à vue, ou encore l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu de son propriétaire à des fins de géolocalisation et de captation de sons et d’images... Sur ce dernier point, qui a été à l’origine de longs débats dans les hémicycles, les parlementaires se sont mis d’accord, en commission mixte paritaire, sur la version initiale du texte du gouvernement, qui autorise le recours à ce dispositif pour les crimes et délits sanctionnés de cinq ans de prison (et non dix ans, comme le souhaitaient les sénateurs). Ce dispositif ne pourra toutefois pas être utilisé pour les appareils des parlementaires, des magistrats, des avocats, des journalistes et des médecins.

Par voie d’amendements, les parlementaires ont également introduit dans le Code de procédure pénale la récente jurisprudence de la Cour de cassation relative à la compétence universelle de la France en matière de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis à l’étranger. Certaines des conditions initialement prévues par la loi ont été supprimées, pour ne conserver que le critère de « résidence habituelle sur le territoire français » de la personne soupçonnée.

Des tribunaux des activités économiques à l’essai

La loi prévoit l’expérimentation de tribunaux des activités économiques pendant quatre ans dans une dizaine de tribunaux de commerce (qui seront désignés par décret). Ces tribunaux seront compétents pour l’ensemble des procédures amiables et des procédures collectives quels que soient le statut et l’activité du débiteur, hormis celles concernant les professions d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire. Ils connaissent aussi des actions et contestations relatives aux baux commerciaux nées de la procédure et présentant avec celle‑ci des liens de connexité suffisants.

La loi instaure devant ces nouveaux tribunaux une « contribution pour la justice économique », versée par la partie demanderesse et dont le barème sera défini par décret. Les demandeurs à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective, l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, les personnes physiques et les personnes morales de droit privé employant moins de 250 salariés en seront exemptés. La représentation par avocat ne sera pas obligatoire si la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros, ou si elle concerne l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas ce montant. Les parties auront alors la possibilité de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix.

Un legal privilege à la française

Une des grandes nouveautés introduites par cette loi est l’octroi de la confidentialité aux consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise ou à sa demande, et sous son contrôle, au profit de son employeur, excepté en matière pénale et fiscale.

Cette réforme qui vient en partie répondre aux attentes des entreprises et de leurs juristes internes a bénéficié d’un soutien constant du garde des Sceaux, tout au long de l’examen de ce texte, alors que les parquets financiers et les équipes d’enquête des services fiscaux et des autorités administratives (de la concurrence, des marchés financiers…) y étaient opposés. D’où son périmètre limité excluant les matières pénales et fiscales. La loi impose aussi des conditions d’identification (par la mention « confidentiel - consultation juridique - juriste d’entreprise ») et de traçabilité des documents dans les dossiers de l’entreprise, ainsi que de diplômes et de formation aux juristes d’entreprises. Si toutes les conditions sont réunies, les documents « ne peuvent, dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative, faire l’objet d’une saisie ou d’une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative française ou étrangère. »

Réforme du statut des magistrats et des voies d’accès à la magistrature

Les parlementaires ont également adopté la loi organique portant ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire. Celle-ci contient de nombreuses dispositions visant à réformer le statut des magistrats (discipline, hiérarchie, évaluation, avancement, dialogue social…), à améliorer le mode de traitement des plaintes des justiciables et à mieux protéger les magistrats cibles de menaces ou victimes d’attaques du fait de leurs fonctions.

La loi prévoit aussi des mesures destinées à ouvrir et simplifier les voies d’accès à la magistrature pour permettre aux professionnels du droit d’y accéder plus facilement, à autoriser le recours à des magistrats à titre temporaire (un nouveau statut ouvert aux professionnels du droit) et à faciliter le recrutement de magistrats honoraires et de magistrats à titre temporaire. Autant de réformes qui doivent permettre d’améliorer l’attractivité de la magistrature et d’atteindre plus facilement les objectifs de recrutement de magistrats fixés par la loi de programmation pour la justice.