Les consommateurs, vertueux... par intérêt

L'économie circulaire constitue un marché d'avenir, d'après l'Observatoire Cetelem. Lequel observe la multiplication des « consommateurs entrepreneurs » qui achètent, revendent... allant parfois jusqu'à rechercher un profit. Une tendance particulièrement forte chez les nouvelles générations. 

(c)Adobestock
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Bienvenue dans le monde des « consommateurs entrepreneurs ». Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem, présentait la nouvelle étude consacrée à l’« Économie circulaire : place au Consommateur entrepreneur ». Elle confirme une tendance , des pratiques liées à l'achat et à la vente d'occasion, déjà identifiée par l'Observatoire dans son rapport de 2013. Mais ce dernier évoquait un « consom'acteur », aux motivations militantes. Le « consommateur entrepreneur » actuel, lui, a surtout en tête son pouvoir d'achat, même s'il est loin d'être indifférent aux problématiques environnementales. Reste qu'au niveau quantitatif, « en 2013, nous parlions de consommation alternative. Huit ans plus tard, nous avons franchi des étapes. L'économie circulaire prend racine », constate Flavien Neuvy. Signe tangible, l'apparition d'entreprises devenues incontournables comme Leboncoin ou Vinted...

Pour autant, la manière dont les Européens considèrent l'économie circulaire réserve des surprises. La notoriété de celle-ci demeure limitée : le quart seulement des Européens déclarent savoir précisément ce dont il s'agit. Et les scores sont inégaux selon les pays : 29% en Allemagne, 28% en France, contre12% en Hongrie. En revanche, même si elle est mal connue, l'économie circulaire bénéficie d'un « à priori positif », note Flavien Neuvy : 85% des Européens en ont une bonne ou très bonne image. En particulier, 43% d'entre eux considèrent positivement sa dimension environnementale. Mais ils apprécient encore plus son côté innovant (54%) ou créateur d'emplois ( 53%). A contrario, ils ne sont que 9% à estimer qu'il s'agit d'une mode.

Par ailleurs, au niveau des mentalités, « il apparaît que dans nos sociétés, en Europe et particulièrement en France, l’idée de jeter un produit n'est pas acceptable s'il est encore utilisable », commente Flavien Neuvy. Concernant leurs propres pratiques, les consommateurs qui s'adonnent à l'achat de produits d'occasion affichent pour l'essentiel une « motivation économique » . C'est en effet ce qui domine, parmi les motifs invoqués (qui peuvent se cumuler). Arrive en tête le fait de réaliser des économies (52%). Suivent la préservation de l'environnement (36%), la possibilité de consommer plus de choses (29%) et celle de gagner de l'argent en achetant et revendant (14%).

Gain des vendeurs : 77 euros par mois

Le descriptif des habitudes des Européens en matière d'économie circulaire confirme la dimension « utilitariste » de leur démarche, selon les mots de Flavien Neuvy. Par exemple, concernant l'utilisation qu'ils font des gains réalisés en achetant : 52% des sondés économisent la somme obtenue (notamment, chez les plus de 50 ans), mais 48% achètent d'autres produits, pour l'essentiel, de nécessité, et non pour se faire plaisir. Dans le même sens, la pratique toujours plus courante de vendre de produits d'occasion témoigne de cette orientation utilitariste. « Un quart des Européens, chaque mois, mettent en vente des produits sur les plateformes Internet (…). Ils sont des entrepreneurs de leur propre consommation », dévoile Flavien Neuvy. Et ces derniers tirent déjà des sommes non négligeables de leur activité : 77 euros, en moyenne, chaque mois. Le montant s’élève à 67 euros en France et 115 au Royaume-Uni. « C'est plus qu'un appoint, cela devient important », commente l’expert. Partant, certaines pratiques deviennent de plus en plus sophistiquées. Ainsi, 10% des vendeurs dépensent l'argent obtenu à la vente pour acheter un objet... destiné à être revendu. « Il existe un esprit trading », constate Flavien Neuvy.

De manière plus large, chez les vendeurs, les motivations sont diverses. En tête, au même niveau (39%) arrivent la recherche de revenus supplémentaires et la volonté de faire de la place chez soi. Dans cette démarche, la vente a pris le pas sur le don. Les autres motivations (environnement, générosité) n'apparaissent que dix bons points derrière. Et pour Flavien Neuvy, l'ampleur du phénomène ne laisse plus place au doute : « nous ne sommes plus face à des tendances qui apparaissent, des signaux faibles, mais à des marchés de masse ». Plus encore, l'importance prise par ces pratiques chez les 18 à 34 ans, particulièrement actifs, laisse augurer une croissance significative dans les années à venir.

Les enseignes sont-elles en retard ?

Reste à savoir qui en tirera bénéfice. Pour l'instant, « ce sont plutôt des pure playeurs qui se sont saisis de ces opportunités comme souvent, lorsqu'il y a une rupture sur un marché », commente Flavien Neuvy. Pour autant, tout n'est pas joué. En effet, « les marques et enseignes sont légitimes aux yeux des Européens. Ils ne les écartent pas de cette économie circulaire », note l’expert. Par exemple, 58% des Européens vendent en direct (via des plateformes) sur Internet. Toutefois, pour acheter, 41% d'entre eux préfèrent passer par une enseigne spécialisée (qu'elle soit en ligne ou physique), plus rassurante. Et parmi ceux qui n'achètent jamais d'occasion, le manque de confiance constitue l'obstacle principal. Or, sur ce sujet « les enseignes de distribution ont une carte à jouer, car c'est leur rôle même que de rassurer », analyse Flavien Neuvy, évoquant, notamment, l'exemple de l'électronique grand public, où l'achat peut concerner un bien de plusieurs centaines d'euros.

Pour autant, un très antique canal, « les vide-greniers et brocantes résistent. Ils restent un canal de distribution important pour la seconde main. Ils sont appréciés pour le côté social et plaisir », pointe Flavien Neuvy. Autre tendance, celle-ci émergente, celle de la location : « globalement, les Européens sont plutôt attachés à la possession ». C'est aussi le cas de 76% des Français. Toutefois, les pratiques évoluent, comme l'illustre la location avec option d'achat pour l'automobile, devenue courante.

Au total, pour l'Observatoire Cetelem, un faisceau d'indices confirme le « potentiel significatif » du marché de l'économie circulaire. Il « coche la case environnement, et l'on peut penser que dans dix ans, ce sera aussi prégnant qu'aujourd'hui », indique Flavien Neuvy. Deuxième « case cochée », celle, cruciale du pouvoir d'achat. Et enfin, la troisième « case », celle-ci assortie d'un bémol : l'impulsion du législateur, qui de plus en plus, pousse marques et enseignes à adopter des démarches circulaires. Le bémol résidant dans la tentation d'ajouter des taxes à ces échanges, qui pour l'essentiel, passent encore sous le radar...